L’EXPERIENCE DE NIETZSCHE

 

 

Par

 

 

YANN KASSILE

 

 

 

 

 

Résumé :

 

 

 

Récit d'expérience en même temps que documentaire d'accès à Nietzsche ( 1844 - 1900 ),

ce film retrace un voyage sur les lieux mêmes

( Sils Maria, Venise, Gênes, Nice, Turin, etc.) où, durant les dix années de son errance,

Nietzsche a séjourné et rédigé ses ouvrages majeurs.

L'œuvre et la vie du philosophe sont ainsi évoquées du point de vue

d'une expérience vécue.

 

*

 

Un exemplaire sur DVD de ce film "L'expérience de Nietzsche" est consultable

à la BPI du Centre Beaubourg à Paris,

ainsi qu'au département audiovisuel de la Bibliothèque Nationale de France,

et dans quelques médiathèques de certaines villes de France.

 

 

 

PRÉSENTATION :

 

 

Ce que Nietzsche a parcouru, nous le parcourons. Notre tête n’éclatera pas. Nous avancerons comme il a avancé, en défrichant, en interrogeant, animés de pensées jamais calmées, inquiètes et joyeuses, foisonnantes et pures.

Nietzsche n’indique pas le chemin, il indique la marche, qu’il faut marcher.

En outre, L’expérience de Nietzsche est un film porté par un désir formel élémentaire : approcher la langue des représentations mentales qui nous sillonnent et nous constituent. Il est une esquisse pour rendre compte de cette grammaire d’images fondamentale.

Le langage des images mentales est toujours encore à restituer.

 

yannkassile@yahoo.fr

 

 

*

 

Les textes des citations de Nietzsche sont retranscrits en italique.

(dont j’indique en note les références dans l’édition française)

Les textes du narrateur sont retranscrits en style droit.

Les indications figurant entre parenthèses alignées à droite indiquent les séquences par lieux.

Les citations entourées d'espace représentent les textes qui s’inscrivent dans l’image même du film.

 

 

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( train )

 

 

Il arrive un moment où tout se concentre.

Ce jour-là, le jour de mon départ, regardant le paysage défiler, je me suis mis à murmurer les mots de Spinoza: " Après que l'expérience m'eut appris que tout ce qui arrive communément dans la vie ordinaire est vain et inutile, je me décidai... "[1] Je me décidai à quoi ? A partir, pour longtemps; à considérer qu'il n'y avait pour moi plus d'amis, ni d'amour, ni de travail, ni de passé, ni surtout d'avenir. Il n'y avait qu'une seule chose qui devait compter, faire une expérience: pendant plusieurs mois, lire Nietzsche. Mais le lire sur les lieux mêmes où il avait vécu et écrit. M'immerger dans son œuvre, son univers. Retrouver des atmosphères similaires à celles qu'il avait connues. Pour mieux puiser à son inspiration, pour développer en moi ce sens de l'indépendance vers quoi, en Nietzsche, tout était tourné.

 

 

 

L'expérience

de

Nietzsche

 

 

par

 

Yann Kassile

 

 

Je suis passionné d’indépendance, je lui sacrifie tout — sans doute parce que je possède l’âme la plus indépendante, et que le fil le plus ténu me torture plus que, d’autres, des chaînes. [2]

 

 

( Sils Maria )

 

D'abord, l'expérience fut celle de la solitude, du retrait : n'être rien, ne pas partager les activités courantes. a solitude ! Atteindre des forces et une respiration nouvelle par les paysages, les longues promenades ; les marches dans la montagne, les sentiers de campagne, la forêt.

 

La première destination de mon voyage fut ainsi la Haute Engadine, en Suisse orientale.

 

C'est ici, à St Moritz, que Nietzsche passe l'été 1879. Il a alors 35 ans. Il vient de prendre définitivement congé, quelques mois auparavant, de son poste de professeur à l'université de Bâle. Durant cet été, il rédige Le Voyageur et son ombre.

 

Dans bien des sites naturels, nous nous redécouvrons nous-mêmes avec un agréable frisson ; c'est le plus beau cas de double qui soit. Qu’il doit pouvoir être heureux celui qui a ce sentiment juste ici, [...] dans cette clarté si pure et cette fraîcheur si tempérée, la grâce sévère de ces collines, de ces lacs, de ces forêts. [...] Heureux celui qui peut dire : " Il y a sûrement des aspects beaucoup plus grands et plus beaux de la nature, mais celui-ci m'est intime et familier, il est de mon sang, et plus encore." [3]

 

Nietzsche entre alors dans une nouvelle période de sa vie, période d’errance, d’isolement, de méditation et d’effervescence, durant laquelle il va écrire ses ouvrages majeurs. Il reviendra désormais presque tous les étés dans cette région, plus précisément dans le village de Sils Maria.

 

 

 

J'ai maintenant pris possession de l'Engadine et j'y suis comme dans mon élément, c'est tout à fait merveilleux. Je suis lié de parenté avec cette nature.[4]

 

Un matin au réveil, cette phrase me revint à l’esprit ; durant un instant je crus que je l’avais écrite dans mon rêve ; en réalité, c’était une phrase tirée d'une lettre de Nietzsche.

 

Je voudrais avoir assez d’argent pour pouvoir me bâtir ici une sorte de niche à chien idéale : j’entends une maison de bois à deux pièces, ce serait sur une presqu’île qui avance dans le lac de Sils et sur laquelle il y a eu autrefois un castellum romain.[5]

 

 

Au bout de cette presqu’île, une plaque est gravée dans la pierre où sont inscrites quelques paroles de Zarathoustra.

 

Je vais maintenant raconter l’histoire de Zarathoustra. La conception fondamentale de l'œuvre, la pensée de l'éternel retour, cette formule suprême de l'affirmation la plus haute qui puisse être atteinte, remonte au mois d'août 81 : cette pensée a été jetée sur une feuille avec cette inscription: " à 6000 pieds au-dessus de 1'homme et du temps."

 

 

cette affirmation

la plus haute qui puisse être

atteinte

 

 

Ce jour-là, j'allai à travers bois, le long du lac de Silvaplana; je fis halte près d'un énorme bloc de rocher dressé comme une pyramide. C'est alors que me vint cette pensée.[6]

 

 

 

la pensée de l’éternel retour

 

 

Aborder cette pensée de l’éternel retour ! Jusqu'alors elle n'était pour moi qu'une conception mythique.

Je découvris qu'elle était bien autre chose.

 

L'homme le plus généreux, le plus vivant, le plus affirmateur, ne se contente pas d'admettre et d’apprendre à supporter la réalité telle qu’elle fut et telle qu'elle est, mais il veut la revoir telle qu'elle fut et telle qu'elle est, pour toute l'éternité.[7]

 

 

telle qu’elle est et telle qu’elle fut

 

 

 

telle qu’elle fut et telle qu’elle est

 

 

 

 

 

 

Durant plusieurs jours, je vins près du rocher. Je sillonnai le chemin alentour. Je répétai, à mi-voix :

 

Que dirais-tu si un jour un démon se glissait jusque dans ta solitude et te dise : " Cette vie telle que tu la vis maintenant et telle que tu l'as vécue, tu devras la vivre encore une fois et d'innombrables fois ; et il n'y aura rien de nouveau en elle, chaque douleur et chaque plaisir, chaque pensée et chaque gémissement devront revenir pour toi."[...

Si cette pensée exerçait sur toi son emprise, elle te transformerait, faisant de toi, tel que tu es, un autre, te broyant peut-être.[8]

 

Un jour que j'apercevais de loin, de l'autre rive, le rocher, je me dis : ce qu'elle a d'effroyable, cette pensée, c'est de forcer à la joie devant toute chose ; c'est qu'elle contraint à vivre chaque instant dans son intensité.

Depuis lors, s'il m'est arrivé de m'attrister, toujours je fus rappelé à l'ordre de la joie devant toute chose.

Mais le dernier jour que je passai à Sils, je compris que la profondeur de cette pensée, à l'extrême opposé de toute résignation, réside surtout dans le fait qu'elle engage avec force à mener l'action que l'on veut.

 

 

 

( train & Venise )

 

En allant à Venise, dans le train, je rencontrai une jeune femme, Klara.

Elle lisait le Gai savoir. Elle décida de m'accompagner dans mon voyage, de partager l'expérience.

 

Fin mars 1880, Nietzsche emménage dans un endroit qui :

 

conformément à mes besoins n’est pas situé dans les étroits canaux de la lagune mais dans un endroit dégagé comme en bord de mer, avec une vue sur l’île des morts.[9]

 

Voici l’île des morts, l’île San Michele. Quand, quelques années plus tard, Nietzsche écrira Zarathoustra, c'est en pensant à ce cimetière qu'il composera " le chant des tombeaux " :

 

Là-bas est l’île des tombeaux, l’île silencieuse ; là-bas sont aussi les tombeaux de ma jeunesse. [... Oh, vous, visages et visions de ma jeunesse ! O regards d'amour, instants divins ! Comme vous avez vite disparu ! [10]

 

Nietzsche avait le sentiment aigu de la perte, la nostalgie du perdu.

 

Il fallait trouver le Palazzo Berlendis où Nietzsche passe ce premier séjour Vénitien.

 

 

 

Je mis quelque temps à le découvrir car il ne donne pas directement sur l'île San Michele, il est un peu en retrait, au bord d'un canal. Je sonnai au hasard. Un vieux monsieur, ancien professeur de mathématiques, nous accueillit dans une immense pièce. Il savait que Nietzsche avait vécu dans ce palais et nous annonça : " Sa chambre était exactement ici, où vous êtes ; elle était limitée par un paravent qui se trouve toujours à la cave. C'est de ce balcon qu'il aimait regarder les îles d'en face. " Il nous raconta ensuite l'histoire de ses propres ancêtres. Puis, un étrange silence s'installa. Un silence, sans gêne.

 

Nietzsche se plaît à Venise, il y trouve une atmosphère de mystère, d'étrangeté, qui convient à ses besoins. Il peut compter sur la compagnie du musicien Peter Gast, un de ses anciens élèves devenu un ami. Il lui dicte une grande part des aphorismes qui vont composer Aurore, initialement intitulé L'ombre de Venise.

 

 

Un livre comme celui-ci, Aurore, n’est pas fait pour être lu d’une traite mais pour être feuilleté, surtout en promenade et en voyage. On doit pouvoir constamment y plonger et en sortir la tête, et ne plus rien trouver d’habituel autour de soi.[11]

 

Le caractère de l'ensemble du monde est de toute éternité celui du chaos.[12]

 

La passion de la connaissance dont Nietzsche se sait possédé, ne cesse à tout moment d'animer son esprit. C'est ainsi que la forme d'expression pour laquelle il a une prédilection est l'aphorisme. Une forme condensée, ramassée. La mise en lumière des choses, procède par éclairs, par multiplication des lumières et des angles. C'est de cette manière qu'il conçoit saisir au mieux la nature éclatée de la réalité.

 

Venise, demeurée inchangée dans sa majeure partie par rapport à ce qu'elle était il y a un siècle. Ses clapotis, ses silences, ses lumières nous donnèrent parfois l'impression d'appartenir à un autre cours du temps. A d'autres moments quelque chose nous faisait sentir que le temps de sa gloire était loin.

 

 

 

( train )

 

La maladie multiforme dont souffre Nietzsche et son extrême sensibilité l'oblige à toujours rechercher un climat qui lui convienne au mieux.

 

Il n’est donné à personne de pouvoir vivre à sa guise n'importe où ; pour qui doit assumer une grande tâche qui requiert toute sa force, le choix est même très limité. L’influence du climat sur les échanges organiques est si grande, qu'il suffit d'une erreur dans le choix du lieu et du climat pour détourner un homme de sa tâche.[13]

 

 

( Stresa )

 

A Stresa, je restai trois jours.

 

 

Deuxième jour

 

En octobre 1880, Nietzsche séjourne une vingtaine de jours, ici, sur les bords du Lac Majeur. Il se remet d'un très mauvais été fait d'écœurement et d'inactivité, passé à Marienbad en Bohème, puis à Naumburg chez sa mère. Il reprend la rédaction des aphorismes d’Aurore. Désormais, il veut s'enfoncer davantage encore dans la solitude.

 

 

 

Troisième jour

 

Qu'importe ma personne ! Il m'arrive notamment souvent de ne pas savoir comment je supporte tout ensemble mes faiblesses ( d'esprit, de santé et d'autres choses ) et mes forces ( dans mon appréhension des perspectives et des tâches ). Ma solitude, non seulement à Stresa, mais dans mes pensées, est extraordinaire.[14]

 

 

( train )

 

Nietzsche effectue la plupart de ses voyages en train. Cela le rend toujours terriblement malade. Après un voyage, le plus souvent, il doit rester au lit plusieurs jours consécutifs. La pauvreté où le met la maigre pension que lui verse l'université l'oblige à descendre dans de médiocres pensions, la plupart des fois, pas même chauffées.

 

Il y a des vies où les difficultés touchent au prodige ; ce sont les vies des penseurs...

 

 

 

la vie des penseurs

 

 

 

… et il faut prêter l'oreille à ce qui nous est raconté à leur sujet, car on y découvre des possibilités de vie dont le seul récit nous donne de la joie et de la force…

 

 

de la joie et de la force

 

…Il y a là autant d'invention, de réflexion, de hardiesse, de désespoir et d’espérance que dans les voyages des grands navigateurs ; et, à vrai dire, ce sont aussi des voyages d’exploration dans les domaines les plus reculés et les plus périlleux de la vie.[15]

 

aussi des voyages d’exploration

 

 

( Gênes )

 

A l'automne 1880, quand Nietzsche se rend à Gênes, il sait que cette ville est indéfectiblement associée à Christophe Colomb, figure par excellence du découvreur de terres nouvelles. Nietzsche se sait comme son successeur spirituel.

 

Il y a des moments où je me promène sur les hauteurs autour de Gênes avec des regards et des sentiments tels que le grand Colomb a pu en avoir autrefois en regardant d’ici la mer et l'avenir.[16]

 

Il me parut difficile d'avoir sur Gênes un regard semblable à celui de Nietzsche. Je me contentai d'attribuer cela à la transfiguration de la ville.

 

Je n’arrête pas de marcher ni de grimper. Pour accéder à ma mansarde, je dois en effet monter 164 marches dans la maison, elle-même très haut perchée, sur une rue escarpée qui aboutit sur un grand escalier ; d'où le calme profond qui y règne et dont profitent quelques brins d'herbes pour pousser entre les pavés.[17]

 

Je savais que la mansarde n'existait plus, puisque la maison avait été bombardée pendant la guerre. Mais il fallait quand même la voir, la rue, Salita delle Battistine, même si ça ne correspondait plus tout à fait, il fallait rester là un moment, il fallait regarder.

Et cette rue en pente, qui imposait son rythme lent, nous devint très agréable. Du coup, Gênes prenait pour nous un autre visage.

Nietzsche a besoin d'endroits calmes. Il ne peut pas vivre ailleurs. Lui conviennent les villes où il n'y a pas de foule, seulement des solitudes.

 

Durant l'hiver 81-82, il rédige le Gai Savoir. Il poursuit le travail entrepris avec Aurore. Il multiplie encore les angles de vue, les questionnements. Il injecte de la joie dans chacune de ses réflexions, de ses interrogations. Chacun des aphorismes qu'il compose est un ouvrage d'art.

 

L'art ! C'est lui seul qui rend possible la vie, c'est la grande tentation qui entraîne à vivre, le grand stimulant qui pousse à vivre.[18]

 

Je ne suis pas loin de croire que Carmen est le meilleur opéra qui soit.[19]

Chaque fois que j'ai entendu Carmen, je me suis senti plus philosophe, meilleur philosophe.[... A-t-on remarqué à quel point la musique rend l’esprit libre, donne des ailes aux pensées , que, plus on devient musicien, plus on devient philosophe ? [20]

 

C'est en novembre 1881, que Nietzsche découvre pour la première fois Carmen de Bizet.

 

Dans un aphorisme qui s'intitule Pour le nouvel an, écrit le premier janvier 1882, Nietzsche se souhaite à lui-même ses meilleurs vœux :

 

Je veux apprendre de plus en plus à considérer la nécessité dans les choses comme la beauté en soi : ainsi je serai l'un de ceux qui embellissent les choses. Je ne ferai pas de guerre contre la laideur ; je n'accuserai point, je n'accuserai pas même les accusateurs. Détourner le regard : que ceci soit ma seule négation. [...] Je veux n’être plus autre chose que pure adhésion.[21]

 

 

 

(Orta )

 

Je passai quelques jours à Orta, dans ce petit village du Piémont qui borde un lac. C'est ici que Nietzsche séjourne quelques jours au début du mois de mai 1882, en compagnie de son ami Paul Rée et de Lou Salomé. C'est lui qui décide de la mise en scène étrange de cette photo : Lou Salomé tenant un fouet devant Paul Rée et Nietzsche attelés comme des chevaux.

 

Dans quelle maison avaient-ils logé ? Etait-ce dans cette ruelle étroite? derrière cette porte ? Etait-ce cette fenêtre ? Celle-ci ? Je décidai que c'était celle-là, qui donne sur la place. Rien ne m'empêchait de l'imaginer. J'éprouvai alors le sentiment de liberté qu'apporte une imagination qui n'est tenue à rien, n'engage rien, et rajoute à la réalité comme un pur supplément de réalité.

 

Je me dis : ils sont peut-être allés tous trois sur la petite île San Guilio, juste en face d'Orta.

Nietzsche et Lou Salomé se sont rencontrés quelques semaines plus tôt à Rome. Immédiatement il l'a demande en mariage par l'intermédiaire de Paul Rée. Lou décline l’offre. Mais ils prévoient tous trois de vivre ensemble à Paris ou à Vienne et de former une sorte de groupe d'étude.

 

Un après-midi, Nietzsche et Lou se retrouvent seuls pour une promenade au Monte Sacro. Sur cette colline, qui surplombe Orta, se trouve côte à côte près d'une quinzaine de très anciennes chapelles. Là, ils passent un long moment qui restera gravé dans la mémoire de Nietzsche comme un instant d'intense bonheur.

Sans doute s'agit-il, en plus des conversations profondes, d'un baiser.

A ce propos, Lou écrira dans ses Mémoires : " Je ne me souviens pas l'avoir embrassé." Ce qui doit probablement être compris comme ceci : oui je l'ai embrassé mais je préfère le taire. Ils passeront le mois d'août suivant ensemble dans la forêt de Tautenburg. Puis se sépareront pour ne jamais plus se revoir ; le projet de vie communautaire à trois sera enterré. Plus tard, Nietzsche écrira encore à propos de Lou :

Elle me manque, même avec ses défauts : nous étions assez différents pour que quelque chose d'utile sortît toujours de nos conversations, je n'ai jamais trouvé quelqu'un qui fût autant dénué de préjugés, aussi sensé et aussi bien préparé à mon genre de problèmes.[22]

 

Cette relation avortée est une profonde déception pour Nietzsche ; la solitude n'est plus seulement une voie choisie, elle devient un chemin à quoi il est contraint. Il puise la force de surmonter cette blessure dans des pensées comme celle-ci :

 

La rupture d'un lien est difficile, mais à la place du lien, il me pousse une aile. [23]

 

 

( murmuré )

 

La rupture d'un lien est difficile,

mais à la place du lien,

il me pousse

une aile.

 

 

 

 

( Rapallo )

 

C'est du battement, probablement douloureux, de cette aile nouvelle que Nietzsche, réfugié à Rapallo au bord de la mer, à partir de novembre 82, compose la première partie de Ainsi parlait Zarathoustra.

Dans Ecce Homo, l'autobiographie qu'il écrira en 88, il raconte ceci :

 

Cet hiver-là, je vécus dans la charmante et calme baie de Rapallo près de Gênes.[…] Un petit "albergo" situé juste au bord de mer, de sorte que la nuit le bruit des vagues rendait tout sommeil impossible, m'offrait, à peu près en tout, le contraire de ce qui est souhaitable. Malgré cela, et presque comme preuve de ma thèse qui veut que tout ce qui est décisif advienne "malgré" quelque chose, ce fut cet hiver-là et dans ces conditions défavorables, que naquit mon Zarathoustra.

Le matin je montais en direction du sud, par l’admirable route de Zoagli, longeant les pins parasols, et dominant du regard très loin la mer. L'après-midi je faisais le tour de la baie de San Margherita jusqu’à Portofino. […] C'est sur ces deux chemins que m’est venue toute la première partie du Zarathoustra, surtout Zarathoustra lui-même comme type : plus exactement, j'ai été saisi par lui.[24]

 

 

 

( train )

 

Après Rapallo, je poursuivis seul le voyage. Klara me dit qu’elle me rejoindrait quelques semaines plus loin.

 

 

 

( Nice )

 

 

 

Au mois de décembre 1883, Nietzsche s'installe pour la première fois à Nice. Il découvre ce qu'il appelle le ciel d'Alcyon. Les nuages sont rares dans le ciel niçois, l'air y est sec et pur. La lumière d'hiver est douce. Les couleurs sont franches. Tout cela le ravit.

 

D'abord il habite rue Ségurane, face au port. Puis il va à la pension de Genève, un peu plus haut dans la ville, près de la gare. Il fréquente la librairie Visconti située au bord de l'actuel cours Saleya. Il lit les journaux français, le Journal des Débats, la Revue des deux mondes. Il s'imprègne de culture française.

Il se sent, lui l'Allemand, si peu allemand et tellement méditerranéen. Il aime cette mer qu'il reconnaît, avec les grecs, comme la mer même de la philosophie.

 

Il marche souvent six à huit heures par jour. Il a besoin de cela pour libérer les pensées qu'il contient. De Nice, il mène parfois ses promenades jusqu’au très haut village d'Eze.

Fin janvier 84, il vient de terminer la troisième partie de Zarathoustra; il écrit à son ami Overbeck :

 

Les deux dernières semaines ont été les plus heureuses de ma vie : jamais je n’ai vogué avec de telles voiles sur une telle mer ; et la formidable exaltation de toute cette odyssée, qui dure depuis aussi longtemps que tu me connais, depuis 1870, touche à présent à son paroxysme.[25]

 

L'hiver suivant, Nietzsche revient à Nice. Il se sait plus que jamais porteur d'une mission à accomplir : ouvrir à la pensée de nouveaux domaines, une nouvelle liberté.

 

Je suis plongé en plein dans mes problèmes ; ma doctrine, selon laquelle le monde du bien et du mal n’est qu’un monde d’apparence et de perspective, constitue une telle innovation que j’en perds parfois l'ouie et la vue.[26]

 

En un sens Nietzsche ne pense pas ; les pensées, il les éprouve dans sa chair et ses fibres mêmes. Un jour, Lansky, un ami, vient le voir dans sa chambre. Nietzsche, encore au lit, lui dit : " Je suis malade, je viens d'accoucher ! – Qu'est-ce que vous dites ? – La quatrième partie de Zarathoustra est écrite. " Cette quatrième partie, Nietzsche la fait éditer lui-même à compte d'auteur, il n’en fait paraître que quarante exemplaires.

 

Quand il ne gravit pas jusqu’à Eze, il va sur les hauteurs de Nice, vers le Mont-Boron, d’où l'on domine la mer d'un côté, la vallée de l'autre. Il aime le vent qui enlève toute pesanteur aux choses, rend l’humeur légère. La solitude elle-même lui devient alors plus joyeuse. Car malgré la visite de quelques admirateurs, la compagnie de quelques étudiantes, il souffre de son isolement. Il rêve de ne plus avoir à l'endurer, de pouvoir réunir autour de lui une petite communauté d’êtres rares et privilégiés avec lesquels il puisse partager ses intérêts.

 

Je veux fonder une nouvelle classe : un ordre d’êtres supérieurs auprès desquels les esprits et les consciences en détresse puissent venir prendre conseil ; des êtres qui, comme moi, sachent non seulement vivre par-delà les dogmes politiques et religieux, mais qui aient également dépassé la morale.[27]

 

Il habite durant l'hiver 86 dans une chambre en face du square des Phocéens, au 26 rue St François de Paule, dans la rue du marché aux fleurs, à quelques pas de l'opéra. Il me fut donné un jour d'y entrer en dehors des représentations. J'y restai l'après-midi entier. L'endroit fit revenir à ma mémoire que Nietzsche va y écouter Carmen pour la vingtième fois. C'est la période où il écrit Par-delà bien et mal.

 

(murmuré ) Nous, esprits libres, nous pensons que la dureté, la violence, l’esclavage, le danger dans la rue et dans les cœrs, la clandestinité, le stoïcisme, la tentation et les diableries de toutes sortes, que tout ce qui est mauvais, terrible, tyrannique en l’homme, […] sert aussi bien l’élévation de l’espèce " homme " que son contraire. [28]

 

Par ce livre, Nietzsche pousse au plus loin le caractère subversif de sa philosophie. Il renverse les appuis sur lesquels reposent les pensées courantes, la morale admise. Chaque aphorisme est une remise en mouvement, une inquiétude faite au lecteur, une invitation inlassable à se défaire des préjugés. Les valeurs les mieux établies sont dénoncées comme des faiblesses d'esprit. Si je me souviens aujourd'hui de ce livre avec des images d'une salle d'opéra vide, c'est qu'il est associé dans mon esprit nécessairement à un moment caché. C'est un livre que je ne pouvais lire que dans un endroit où précisément cela n'était pas imaginable.

 

 

 

L'hiver 1887, Nietzsche est installé rue des Ponchettes, au pied du château. Alors que les hivers précédents il devait supporter le froid, il peut enfin s’offrir un poêle à bois. Il écrit à son ami Peter Gast :

Je jouis ce matin d'un grand bienfait : pour la première fois le " dieu du feu " trône dans ma chambre : un petit poêle ; j’avoue que je me suis livré autour de lui à quelques gambades de païen. [29]

 

Danser devant un poêle ; en sachant que ce n'était là qu'une anecdote, j'y voyais une image nécessaire, une image de Nietzsche presque indispensable à sa philosophie même. Cette réjouissance ! Cette envie de danser devant le feu !

 

 

 

( Train, neige )

 

Nietzsche n'était pas un misanthrope, il ne se plaignait jamais de ce que les gens ne lui convenaient pas. Simplement il en était malade et était contraint de s'en éloigner.

 

J'ai vécu solitaire et j'ai eu le talent et le courage de m'envelopper du manteau de la solitude : cela fait partie de mon intelligence. [... Chaque effort que j'ai fait pour m'accommoder du temps présent, chaque tentative faite pour me rapprocher des hommes et des idéaux d'aujourd'hui, a jusqu'ici échoué ; et j'ai admiré la sagesse cachée de ma nature qui, à chaque tentative de ce genre, me rappelle aussitôt à moi-même par la maladie et la douleur. [30]

 

 

( Ruta )

 

Klara me rejoignit entre Gênes et Rapallo, dans une ferme, à Ruta. C'est là que Nietzsche passe trois semaines à l'automne 86. Il relit ses ouvrages précédents, éprouve une immense puissance de mobilisation et rédige de nouvelles préfaces pour une deuxième édition.

 

La première phrase de la préface d'Aurore s'inscrivit dans mon esprit comme l'une des plus belles de toute l'œuvre de Nietzsche. Avec l'éclat de sa simplicité, de sa pureté, elle me faisait sentir l’intraitable tâche dont il se sait investi.

 

Dans ce livre on trouve au travail un être souterrain, de ceux qui forent, qui sapent, qui minent.[31]

 

Cette puissance de mobilisation qui passe dans cette simple phrase, étrangement, se communiquait.

 

 

( Cannobio )

 

 

Durant le mois d'avril 1887 Nietzsche séjourne à Cannobio, au bord du lac Majeur. Période de totale solitude. Il corrige les épreuves de la seconde édition du Gai Savoir. Il habite Villa Badia, sur les hauteurs du village. Par le hasard je fis la rencontre du propriétaire du domaine sur lequel se trouve cette bâtisse. Un soir, il nous emmena à travers les bois jusqu'à la maison. Il nous fit visiter les lieux presque en courant, car la nuit tombait Nous marchions sur des verres brisés qui jonchaient le sol. Il nous raconta l'histoire de cette maison depuis plus de vingt ans laissée à l'abandon.

Le lendemain j'y retournai. Je voulais revoir cet endroit, comme s’il avait quelque chose à me dire.

 

Il y avait aussi au sol des restes de jouets d'enfants ; et puis des piles de feuilles où l'on devinait des courbes d'électrocardiogramme. Car cette bâtisse avait servi de dispensaire pour les enfants malades.

C'est dans cet endroit qui allait donc accueillir quelques décennies plus tard de jeunes malades, que Nietzsche relit le cinquième livre du Gai Savoir. Il m'en revint alors à l'esprit le paragraphe intitulé La Grande Santé, qui commence ainsi :

 

Nous autres qui sommes nouveaux, sans nom, difficiles ta comprendre, nous autres prémices d'un avenir encore incertain - nous avons besoin pour un nouveau but d'un moyen également nouveau, c'est-à-dire d'une nouvelle santé, plus vigoureuse, plus maligne, plus tenace, plus téméraire, plus joyeuse que ne le fut toute santé jusqu’alors.[32]

 

Cette notion de " Grande Santé " prenait ici une résonance inattendue : cette " Grande Santé " par laquelle le rapport même à la maladie est subverti ! Cette " Grande Santé " pour laquelle la maladie n’est pas un contraire.

 

 

(Coire)

Quand Nietzsche se rend à Sils Maria, il fait étape à Coire, dernière station de chemin de fer. En mai 1887, le transit par cette ville dure tout le mois ; avant de rejoindre la Haute Engadine, il consulte quelques livres à la bibliothèque. Sachant cela, je fis halte à Coire: encaissé au milieu de hautes montagnes, chef-lieu du canton des Grisons, extrêmement paisible ! Le centre ville est réservé aux vélos, les rues sont joliment pavées. Klara sembla pourtant ne pas apprécier.

La bibliothèque actuelle nous parue récente ; le conservateur nous confirma que du temps de Nietzsche elle se trouvait ailleurs, en haut de la ville. Mais il nous apporta le registre de mai où était consignée la liste des ouvrages empruntés. Je le feuilletai.

A la date du 20 mai je vis inscrit : ...

La suite de la ligne m'indiqua qu'il avait emprunté ce jour-là Histoire de la philosophie de Kuno Fischer. Mais mon regard revint se fixer sur le nom de Nietzsche. Cette simple inscription me fit brusquement ressentir l'existence même de cet homme, son existence incognito. Ce nom, inscrit au même titre que n'importe quel autre, fit surgir à mon esprit la scène réelle où Nietzsche avait dicté son nom au préposé de la bibliothèque qui lui avait ensuite, tendu le livre.

Je me rendis au musée où était située la bibliothèque au 19e siècle.

 

 

 

(train)

 

 

Il arrive parfois à Nietzsche d’expliquer ses incessants changements de domicile par son besoin de trouver des lieux qui soient les plus antichrétiens.

 

Ce qui est chrétien, c’est la haine contre l’esprit, contre la fierté, le courage, la liberté, le libertinage de l’esprit ; ce qui est chrétien, c’est la haine contre les sens, contre les joies des sens, contre la joie tout court. [33]

 

 

( Sils Maria )

 

Je retournai une seconde fois à Sils. Durant l'été 1888, Nietzsche y compose Le Crépuscule des Idoles et surtout L'antéchrist, qu'il considère comme le premier livre de son " inversion de toutes les valeurs. "

 

Celui qui sait respirer l’atmosphère de mes écrits sait que c’est une atmosphère des hauteurs, que 1'air y est vif. Il faut être créé pour cette atmosphère, autrement l’on risque beaucoup de prendre froid. La glace est proche, la solitude est énorme, mais quelle paix enveloppe les choses dans la lumière ! Comme on y respire librement ! Que de choses on sent au-dessous de soi.

La philosophie telle que je l'ai comprise et vécue jusqu'à présent, consiste à vivre volontairement dans les glaces et les sommets, c'est la recherche de tout ce qui est étrange et problématique dans la vie, de tout ce qui, jusqu'à présent, a été mis au ban par la morale.[34]

 

Un jour où nous étions montés, me semble-t-il, au-dessus de la vallée, Klara se mit à lire à voix basse, une lettre que Nietzsche écrit, de Sils, à son amie Malwida von Meysenbug, en juillet 1888, six mois avant que sa raison ne sombre.

 

(Voix de Klara, murmurée)

Chère amie, J'ai donné à l'humanité le livre le plus profond qu'elle possède, comparés à quoi la plupart des livres ne sont que de la littérature. Que ne faut-il pas expier pour ça ? Ça fait une tension et une vulnérabilité insupportables, on est comme un animal constamment blessé. La blessure, c'est de n'entendre aucune réponse, pas le moindre souffle de réponse, et de porter sur ses épaules, dans une affreuse solitude, le poids que l'on désirerait partager, que l'on désirerait déposer (pourquoi écrit-on sinon ?) On peut sombrer d’être immortel. [35]

 

 

( trains)

 

Je savais les trahisons dont Nietzsche avait été l'objet ; on avait, dès après sa mort, travesti son œuvre pour en faire une doctrine nazie. Hitler lui-même vint sur la tombe de Nietzsche et saluer sa sœur. Etre trahi est probablement le sort réservé à tout philosophe. Mais là, la falsification a dépassé toute mesure. Nietzsche pressent clairement ces choses. Il confie qu'il n'y a rien de commun entre lui et sa sœur antisémite. Et s'il écrit : " Je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite. " c'est qu'il sait bien que jamais un explosif ne contient la cause qu'il sert, que tout dépend des mains dans lesquelles il tombe.

 

 

 

 

( Turin )

 

J'arrivai un soir à Turin. C'est là que se termine l'aventure de Nietzsche. Durant l'automne 1888, pour la première fois depuis très longtemps, il n'éprouve plus aucun trouble physique, ni maux de tête, ni défaillances visuelles, ni vomissement. Il connaît un bien-être unique dans sa vie. Il s’enthousiasme alors pour Turin.

 

Elle est vraiment faite pour moi. Quelle ville digne et sérieuse. Pas du tout grande ville, pas du tout moderne. [... Tout porte la marque du calme aristocratique ; une unité de goût, jusque dans la couleur.[36]

 

 

Cette ville m'apparut être demeurée, encore aujourd'hui, paisible, discrète, élégante, presque bienveillante.

Nietzsche se promène tantôt le long des berges tranquilles du Pô, tantôt sous les enfilades d'arcades qui parcourent tout Turin. Le soir, il va parfois au théâtre, ou écouter la musique que l'on joue juste en bas de chez lui, dans la Galeria Subalpina.

 

Je suis maintenant l’homme le plus reconnaissant du monde. C'est pour moi la saison de la récolte. Tout me devient facile, tout me réussit, bien qu'il ne soit guère probable que personne ait jamais entrepris de si grandes choses.[37]

 

 

Ces grandes choses sont d'une part l'Antéchrist que Nietzsche considère comme le premier livre de son " Inversion de toutes les valeurs ", d'autre part Ecce Homo, son récit autobiographique par lequel il unifie l'ensemble de son œvre. Ecce Homo, Voici l'homme :

 

 

 

Qui a la moindre idée de ce que je suis devinera que j'ai vécu plus d’expériences qu’aucun homme. Le témoignage en est même inscrit dans mes livres, qui, ligne pour ligne, sont des livres vécus, portés par la volonté de vivre, et par là, en tant que création, représentent eux-mêmes un réel surplus, un accroissement de vie.[38]

 

 

 

un accroissement de vie.

 

 

 

Il se présente à la fois comme modèle et comme la singularité inégalable qu'il sait être.

Mon humanité ne consiste pas du tout à partager les sentiments de l'homme, mais à supporter ma sympathie pour lui. Mon humanité est un continuel dépassement de soi.[39]

 

Les pensées de Nietzsche l'emportent durant cet automne vers un point d'impasse : il prétend pouvoir briser en deux l'histoire du monde. Il attribue à son " inversion de toutes les valeurs " le pouvoir d'instaurer une Grande Politique, quelque chose par quoi toute la morale chrétienne, tous les renoncements à la vie, et tout l’ordre établi du monde seraient bouleversés. Ses pensées sont intenables. Mais Nietzsche fait tellement corps avec elles que plutôt que de renoncer à elles, il va renoncer à lui-même. En un sens, c'est par excès de cohérence que Nietzsche va tomber dans la folie.

 

Au début du mois de janvier 1889, il est dans un état de surexcitation et d'égarement extrême. Un matin, dans la rue, à quelques pas de l’endroit où il habite, piazza Carlo Alberto, il pleure face à un cheval battu.

Les jours suivants il écrit de courtes lettres à toutes les personnes qui auront compté pour lui, en signant le Crucifié ou Dionysos. Dans la toute dernière lettre, au milieu d'incohérences, apparaît cette phrase parfaitement vraie et raisonnable :

 

Ce qui est désagréable et embarrassant pour ma modestie, c’est qu’au fond je suis chaque nom de l'histoire.[40]

 

De Turin, il est transféré à Bâle puis à Iéna. Il vit encore onze années, jusqu’au 25 août 1900, dans un état de dépossession de lui-même presque totale. Il a perdu son autonomie, perdu sa " Grande Santé ", il ne crée plus, il est dans la maladie figée. Du fond de cette sorte d'inconscience, il écrit parfois quelques notes. Une perception très nette de son état survient dans l'une d'elles. Par cette notation, il répond en définitive à toutes les questions que l’on peut se poser au sujet de sa folie.

 

Ma maladie n'a pas de cause, échappe à toute opinion ; elle est pur effet d’induction à partir d’éléments intrinsèques et extrinsèques noués en ma personne. [41]

 

Une autre de ces notations se donne comme une lumineuse énigme, indéfiniment, à déchiffrer.

 

Rien ne me fera dévier de ma ligne de conduite. J’ai ce que le monde entier m’envie ou se dispute. En vain. Quelques miettes de pain sur l’oreiller ou une tache n’y changeront rien. Je me suis peut-être cloué mais ça ne m’empêche pas de poursuivre la route.[42]

 

 

Mes derniers jours à Turin, ayant cessé de lire Nietzsche, je les passai avec l’impression que quelque chose commençait.

 

 

 

 

( Mer épilogue )

Plus tard,

il restait

que quelque chose avait été vécu,

par quoi il y avait eu

un mouvement,

vers la zone d’impersonnalité,

au plus profond de soi,

d’où l’on sent,

que le vrai,

y réside.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Générique de fin

 

 

 

produit par

Yann Kassile

&

Aber Images

Daniel Laclavière

 

 

 

 

La voix du narrateur

François Lepage

 

La voix de Nietzsche

Richard Sammel

 

 

 

 

Assistante de réalisation

Blanka Drahosova

 

 

 

Illustration sonore

Françoise Marchesseau

 

Musique originale

Denis Barbier

 

 

Assistante montage son

Marie-Juliana Péroz

Assistants montage

Jean-Baptiste Brégon

Alice Girard

 

 

Avec le soutient de la SCAM

(Société Civile des Auteurs Multimédia)

 

 

Remerciements

Les films du Village

Hibou production

Media 100

Jean Paul Potron

Bibliothèque Cessole de Nice

Bibliothèque de Rapallo

Staatarchiv de Coire

Maison Nietzsche de Sils Maria

Opéra de Nice

Angela Jahn (Weimar)

Chantal Bisio (Gênes)

Giorgio Dissera Bragadin ( Venise )

Prune Berge ( Gallimard )

 

 

ainsi que

 

Alain Ferrari

Jacques Tréfouël

Paolo D’Iorio

Clément Rosset

 

 

 

2000

 

 

 

 

 

 

 

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[1] Spinoza : Traité de la réforme de l’entendement, (1er phrase).

[2]  Cité par Curt Paul Janz : Nietzsche, Biographie, Tome 2, p.327

[3] Humain, trop humain 2 ; le voyageur et son ombre ; §338

[4] Lettre de Nietzsche, citée par C.P. Janz, Nietzsche, tome 2, p. 307.

[5] Lettre du 28 juin 1883 à Gersdorff, citée par Janz, 2, p.474.

[6] Ecce Homo, chapitre Ainsi parlait Zarathoustra, 1 (le début).

[7] Par-delà bien et mal, 56

[8] Le Gai Savoir, 341

[9] Lettre à Peter Gast, mars 1880. Fragments Posthumes, Tome 4, notice biographique finale.

[10] Ainsi parlait Zarathoustra, 2e partie, Le chant des tombeaux.

[11] Aurore, §454

[12] Le Gai Savoir,§109

[13] Ecce Homo, Chapitre Pourquoi je suis si avisé, §2.

[14] Lettre à Overbeck du 31 oct 1880, citée par Janz, tome 2, p.344

[15] La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque, introduction de 1875.

[16] Lettre à Rohde du 24 mars 1881

[17] Lettre à sa sœr du 5 déc 1880, citée par Janz, tome 2, p.347

[18] Fragments posthumes, tome 14, p.269 ( mai-juin 1888 ; 17[3].2 )

[19] Lettre à Peter Gast du 8 décembre 1881, citée par Janz, Tome 2, p.370.

[20] Le cas Wagner, §1.

[21] Le Gai Savoir, §276.

[22] Lettre à Ida Overbeck, début 1883, cité par Janz, tome 2, p.461

[23] ( référence non retrouvée.)

[24] Ecce Homo, chapitre Ainsi parlait Zarathoustra, §1.

[25] Lettre à Overbeck du 26 janvier 1884, citée par Janz, tome 3, p.22

[26] Lettre à Overbeck du 25 juillet 1884, citée in Notice biographique finale de Ainsi parlait Zarathoustra.

[27] Fragments Posthumes, tome X, p. 219. Eté-automne 1884, 26 [173].

[28] Par-delà bien et mal. Chapitre 2 l’esprit libre, §44.

[29] Lettre à Peter Gast du 24 novembre 1887.

[30] Fragments Posthumes, tome X, p. 22. Printemps 1884, 25 [9].

[31] Aurore, Avant-propos, §1.

[32] Le Gai Savoir, livre cinquième, §382.

[33] L’antéchrist, §21 (fin).

[34] Ecce Homo, avant-propos, §3.

[35] Lettre à Malwida von Mesenbug, fin juillet 1888, in Dernières lettres.

[36] Lettre à Peter Gast du 7 avril 1888.

[37] Lettre à Franz Overbeck du 18 octobre 1888, in notice biographique finale, Fragments Posthumes, tome 14.

[38] Fragments posthumes, tome 14, p.352. 15 octobre 1888. 23 [14]

[39] Ecce Homo, chapitre Pourquoi je suis si sage, §8.

[40] Lettre à Jacob Burckhardt du 6 janvier 1889, in Dernières lettres.

[41] In Mort parce que bête. (notes de la maladie ; 1889-1892 ), n°12.

[42] In Mort parce que bête. (notes de la maladie ; 1889-1892), n°20.