Remonstrance aux François pour les induire à vivre en paix à l'advenir : 1576.- Paris : Isidore Liseux, 5 rue Scribe, 1876.- VII-27 p. ; 15,5 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (14.III.2000)
Texte relu par : A. Guézou
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Orthographe et graphie conservées
Texte établi sur l'exemplaire d'un collection particulière.
 
 
REMONSTRANCE
Aux   François
Pour les induire
A VIVRE EN PAIX A L'ADVENIR
(1576)

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Il nous a paru piquant de réimprimer en 1876, cinq ans après le remue-ménage que l'on sait, un écrit politique publié il y a juste trois siècles, en 1576, quatre ans après le massacre de la Saint-Barthélemy.

Rédigé par un inconnu dans une langue vigoureuse et imagée, qui rappelle le style de La Boétie, ce morceau n'est pas seulement précieux pour l'histoire : les enseignements qui s'en dégagent ont aussi leur intérêt. Il est permis, sans doute, de soupçonner un peu d'exagération dans ce tableau de la France, déchirée par les guerres civiles, prête à devenir la proie de ses «voisins et anciens ennemis qui espient l'occasion pour lui courir sus» : mais le fond en est véritable, et la comparaison que nous pouvons faire de cette situation avec la nôtre, n'a rien que de très-rassurant. Nous n'en sommes pas encore, heureusement, à appeler pour arbitres de nos affaires «des étrangers» qui, aujourd'hui comme alors, «ne nous cognoissent pas, mais seulement nostre argent et nos meubles».

L'humanité tourne sur elle-même : espérons que les Français de l'an 2176, après une crise pareille, n'en seront pas plus effrayés.

Maintenant, quel que soit le personnage qui ait composé ce pamphlet : prêtre, magistrat, homme de guerre, homme d'État, ou simple citoyen, c'était, à coup sûr, un sage, un philosophe. Il nous plairait, toutefois, de voir en lui un dignitaire de l'Église, et de le donner en exemple à ses congénères :

     Ce monde-ci n'est qu'une oeuvre comique
     Où chacun fait ses rôles différens.
     Là, sur la scène, en habit dramatique
     Brillent Prélats, Ministres, Conquérans...
           [Jean-Baptiste Rousseau, Épigrammes.]

Rien de plus naturel : mais il y a eu des prélats auxquels point ne suffisait de briller, auxquels il fallait du tapage, des combats, des triomphes. Le nôtre, celui que nous supposons l'auteur de ce pacifique discours, était loin de leur ressembler : fidèle à sa mission épiscopale, il se contentait de surveiller, sans s'y mêler, la lutte des intérêts mondains ; et si, par une illusion d'optique excusable après tout chez un presbyte, le Sénat de son pays lui eût fait l'effet de la fournaise de Babylone, il eût attendu qu'on l'y jetât, comme le jeune prophète Daniel : il n'eût pas montré un Daniel vieilli, qui s'offre, moyennant salaire, à attiser le feu dans cette fournaise.

I. L.
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Nous connaissons deux éditions de cette Remonstance, toutes les deux de 1576. L'une, qui nous paraît être l'originale, est un petit in-8° de 15 pages, sans indication de libraire ni de lieu d'impression : l'autre, également in-8°, mais en plus gros caractères, est de Paris, chez Robert le Mangnier, libraire, avec permission du Roy. Un exemplaire de cette dernière fait partie d'un Recueil factice de pièces sur l'Histoire de France, qu'on peut consulter à la Bibliothèque de l'Arsenal.

 
 
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REMONSTRANCE AUX FRANÇOIS
Pour les induire
A vivre en paix à l'advenir
 

Jusques à quand, François, jusques à quand voulez-vous demeurer armez les uns contre les autres ? Jusques à quand voulez-vous prolonger vos guerres civiles ? Jusques à quand voulez-vous nourrir entre vous tant de divisions et partialitez ? N'estes-vous ennuyez de vous poursuyvre ? N'estes-vous las de combattre ? N'estes-vous contens des cendres de vos maisons ? N'avez-vous horreur de voir vos mains ensanglantées de vostre propre sang ? N'avez-vous regret à la perte de vos vies et de vos biens ? N'avez pitié de vous mesmes ? Quelle occasion vous anime tellement les uns contre les autres ? Quelle fureur vous arme ? Quelle rage vous pousse ? A quoy pensez-vous ? Que faictes-vous ? Quel est le but de vos desseings ? La longueur du temps, qui adoucit toutes choses, ne vous peut-elle retirer de vos animositez ? La perte de vos biens, qui vous doit estre facheuse, ne vous peut-elle destourner de vos entreprises ? La ruine de vostre païs, qui vous doit estre insuportable, ne vous peut-elle esmouvoir ? Que ne considérez-vous la misère et extrême calamité, en laquelle vous estes réduits ? Que n'advisez-vous le danger auquel vous vous précipitez ? Que ne découvrez-vous vos voisins et anciens ennemis qui espient l'occasion pour vous courir sus, quand vous serez affoiblis ?

Cessez, François, cessez vos cruels combats : mettez fin à vos sanglantes guerres : esteindez le feu qui brusle et consume vos propres maisons. Reprenez vostre accoustumée prudence, et prévoyez la totalle ruine de vostre povre pays. Prévoyez la perte de vostre liberté : prévoyez la misère de vos chères femmes et tendres enfans. Souvenez-vous quels vous avez esté : comparez le passé avec le présent, et jugez de combien ceste France est changée depuis vos guerres civiles. Considérez en quel estat vous estes. Recognoissez-vous un peu en lisant ce discours, à fin que si quelque prétexte vous eschauffe le coeur, si quelque, ou publique, ou privée occasion vous incite à une immortelle guerre : que la souvenance de la félicité, en laquelle vous estiez, que la douleur des maux que vous avez soufferts, que l'espérance que vous devez avoir de vous revoir encores une fois bien heureux en ce grand et jadis fleurissant Empire, excitent en vous un désir de la paix, laquelle seule vous peut rendre le contentement qui vous a esté osté par la longueur de vos cruelles guerres. Guerres qui ont faict en vous un si estrange changement, qu'il est maintenant presque impossible de vous recognoistre pour vrais et naturels François.

Car qui est celui qui peut remarquer en vous chose qui approche des moeurs de ceux desquels vous vous vantez estre descendus ? Qui vous dira de la race de ceux lesquels entre toutes les nations ont esté estimez humains, doux, benings, accostables, ouverts, plaisans, et nullement soupçonneux, puis que par vos guerres vous vous estes rendus inhumains, sévères, impitoyables, farouches, dissimulez, mornes et soupçonneux ? Qui sera celui qui lisant en vos histoires les voyages, les entreprises, les guerres meurement commencées par vos pères, heureusement conduites et achevées en Allemaigne, Angleterre, Flandres, Italie, Espaigne, et tant en Europe qu'en Asie : qui pourra estimer, encores moins croire, que soyez enfans de si sages et bien advisez chevaliers qui s'unissoyent et accordoyent entre eux pour aggrandir leur pays, puis-que vous vous divisez et mandez de toutes pars des estrangers pour dévorer ceste belle et riche succession qui vous avoit esté acquise avec un si grand travail ? Qui se pourra persuader que soyez engendrez d'autres que des Scythes et Barbares, ou plustost de quelques bestes cruelles, vous voyant ainsi acharnez les uns contre les autres ? Qui vous jugera autres que bastards, puis-que ne retenez, ni moeurs, ni façon, ni manière de faire de ceux que vous dictes estre vos pères ?

Ils n'avoyent autre désir que de commander et donner la loy à ceux mesmes qui estoyent estimez les plus puissans : et vous invitez des varletz, des larrons, et rebut des peuples pour commander et vous donner la loy en vostre propre pays. Ils se faisoyent redouter de tous : il n'y a si petit que ne craigniez. Ils cerchoyent les moyens de dompter leurs voisins : et vous les recherchez pour vous dompter. Ils rembaroyent courageusement ceux qui vouloyent usurper et entreprendre sur eux : et vous les allez querir et donnez libre entrée. Ils faisoyent resentir de l'audace et témérité ceux qui par trop osez, s'estoyent ruez en leur pays : et vous caressez ceux qui de part et d'autre vous ont pillez, et par vostre doux traictement les conviez à revenir. Vos pères se délectoyent à bastir des superbes chasteaux et maisons de plaisance : et vous vous esbatez à les voir brusler et ruiner. Ils estoyent aimez, honorez et suivis de leurs subjects, et vous estes hays, crains et fuis des vostres. Ils entretenoyent leurs villages et gardoyent leurs vassaux : vous ruynez tout et n'espargnez personne. Pourrez-vous donques vous glorifier en vos ancestres ? Ne serez-vous honteux de porter leur nom et armes, puis que ne voulez imiter leur vertu ?

Que di-je imiter leur vertu, si elle vous est odieuse ? Ne vous estes-vous moquez de la douceur des anciens François, qui n'offensoyent ceux qui se rendoyent à leur merci, estans contens d'en tirer une rançon, et avez voulu avoir et la rançon et la vie les uns des autres ? N'avez-vous en vos guerres inhumainement tué les femmes, lesquelles par commisération avoyent de tout temps esté sauvées et garenties de la fureur des armes ? N'avez-vous fait mourir les petis enfans ? N'avez-vous précipité, desmembré, bruslé, estouffé, hacquebuzé et exposé aux bestes ceux que vous estimiez estre vos ennemis ? Quel genre de cruauté, quelle espèce de tourment, quelle sorte de supplice n'avez-vous inventé pour vous tiranniser ? Quels nouveaux moyens n'avez-vous trouvé pour vous tourmenter ? Qu'avez-vous oublié ? Que reste-il dequoy n'ayez fait expérience plus cruelle sur vous, que n'eussiez voulu faire sur les plus vieils et jurez ennemis de vostre pays ? Nouvelle et incroyable métamorphose, si la playe, si le sang qui coule encores, si la douleur, si le feu qui n'est esteint, ne contraignoyent chacun de croire ce qui est esloigné de toute humanité et contraire au naturel des François. Cas estrange, et par ci devant non entendu ni leu en vos Annales. Que d'une si rare douceur, d'une si grande courtoisie, d'une si extrême bonté qui vous faisoit aimer et rechercher de tous les peuples, vous soyez tombez en une si estrange cruauté, que vous estes odieux à vous-mesmes, et fuyez les uns devant les autres.

Voilà, François, voilà les premières fleurs de vos guerres civiles, desquelles si vous goustez le fruict, vous sentirez l'estat de vostre pays du tout altéré et changé, et serez contrains de confesser que vous n'estes plus en ceste France, si bien policée, régie, et gouvernée par le passé, laquelle servoit de patron aux peuples voisins pour reigler leurs royaumes et bien conduire leurs affaires. Vous trouverez et direz non sans honte et regret que le bon ordre qui avait esté establi d'un commun consentement, a esté par une commune dissention du tout perverti. Lors le Roy estoit aimé et respecté des plus grans, suyvi et révéré de la Noblesse, craint et obéi de son peuple. Les Princes et Seigneurs estoyent redoutez et honorez : la Noblesse chérie : le magistrat authorizé : le marchand maintenu : le peuple soulagé : maintenant chacun veut ce qu'il peut, celui est obéi qui est le plus fort : la Noblesse respectée si elle est furieuse : le magistrat authorizé s'il est le mieux armé : le marchand maintenu s'il se peut bien deffendre : le peuple soulagé s'il ne se veut laisser fouler. Lors le soldat estoit sous les loix de la guerre, et obéissoit à son chef : maintenant il n'a loy que celle qu'il se donne, et se faict craindre et obéir pour l'asseurance qu'il prend, que se desbandant d'un parti, il sera bien receu à l'autre. Les armes estoyent pour vous defendre et les soldats pour vous garder. Par vos armes mesmes vous vous destruisez, et vos soldats vous pillent. Le meschant en quelque lieu qu'il fust du royaume ne se tenoit asseuré, maintenant il vit en asseurance, si sortant d'un costé, il se peut renger à l'autre. Les vivres se vendoyent à certain pris, et non à l'appétit désordonné de l'avare marchand : la monnoye n'estoit subjecte à l'estimation du peuple : les larcins, les adultères, les pilleries estoyent punies : maintenant le marchand met le pris à toutes choses : la monnoye a son cours selon l'estimation du peuple : les fautes demeurent impunies et tout est en confusion et désordre, estant impossible entre les armes remettre la France en son premier estat, et restablir un bon ordre.

Que si, passans plus oultre, vous voulez vous resouvenir du passé, et ramentevoir la grande abondance de toutes choses, en laquelle vous estiez, que direz-vous les uns aux autres ? N'aurez-vous occasion de vous recognoistre et parler ainsi ensemble ? Qu'avons-nous faict ? En quel estat nous sommes-nous mis ? Pourquoy nous sommes-nous privez de cest heur auquel nous estions ? Pourquoy avons-nous, en despit les uns des autres, faict si grand dégast de nos vivres ? Comment avons-nous esté si mal-advisez de donner de l'argent aux estrangers pour nous battre ? Pourquoy les avons-nous appellez pour nous piller et fourager nostre pays ? Pourquoy les avons-nous aidez à charger leurs chariots et butiner tant sur nous ? Devant que nous eussions commencé ceste mal-heureuse guerre nous estions si heureux, nous vivions si bien à nostre aise, nous avions si bon marché de toutes choses. Le bled, le vin, les viandes ne valoyent la tierce partie de ce qu'elles vallent maintenant : nous avions tout en si grande abondance que nous pouvions accommoder nos voisins : il n'y avoit si pauvre qui n'eust moyen de vivre. Les estoffes, les habits estoyent à pris raisonnable. Nous avions les plus beaux bastimens qu'il estoit possible de voir. On ne parloit que de se resjouir les uns avec les autres sans offenser personne : on s'entr'aimoit, on se hantoit, on s'entraidoit, on alloit en toute asseurance par pays pour faire ses affaires, on n'oyoit parler de tant de povretez et cruautez, on ne voyoit tant de voleurs, on gardoit la maison de son voisin comme la siene. Mais maintenant ô que tout est bien changé ! nous sommes les plus mal-heureux du monde, nos terres sont demeurées désertes, nos vignes en frische, nos jardins sans cultiver : toutes choses sont extrêmement chères, la pluspart du povre peuple meur de faim : les villageois qui vivoyent à leur aise sont réduits en ceste extrême nécessité et misère qu'ils paissent avec les bestes brutes : on ne leur laisse rien, ils sont rançonnez, eschaudez, battus, frappez et le plus souvent tuez, s'ils ne treuvent ce qu'on leur demande. Leurs maisons sont pillées, leurs femmes forcées, leurs filles violées : on ne leur laisse pas un cheval, pas une brebis, et le plus souvent demeurent si fort outragez, qu'il ne leur reste rien que la langue pour se plaindre, et les yeux pour pleurer leur povreté et misère. On ne recognoist plus la puissance du Roy, l'authorité des Princes, les commandemens des Capitaines. Les soldats vivent non à discrétion, mais avec toute indiscrétion, et gastent tout par les champs. Il n'y a plus d'argent en France. Tel estoit riche qui demande aujourd'hui l'aumosne : tel avoit mil escus en bourse qui n'a pas aujourd'hui vaillant un souls : tel estoit bien logé, qui n'a pas une estable pour se retirer. On ne s'entr'ayme plus : on ne se hante plus : on ne se resjouist plus comme on faisoit : on ne sait à qui se fier : on ne s'ose mettre aux champs : c'est à qui desrobera le mieux, à qui pillera, à qui mettra le feu en la maison de son voisin. Chascun se plaint : il n'y a celui qui ne se sente de la guerre, tout le monde est destruit.

Que si vous voulez, François, conférer ainsi les uns avec les autres : si vous comparez le temps passé avec le présent, ne vous condemnerez-vous vous mesmes ? Ne direz, en rougissant de la faute que vous avez faicte, et pleurant de commisération que vous aurez les uns des autres : O que nous sommes de grands fols ! que nous sommes mal-advisez de nous ruiner ainsi ! Qu'avons-nous gaigné à nous battre ? Quel bien nous est revenu d'une si longue guerre ? Quel contentement en pouvons nous recevoir ? Nous avions tant de vivres, et nous mourons de faim. Nous avions tant d'or et d'argent, et nous n'avons plus rien. Nous estions si bien meublez, et nous n'avons pas un lit pour nous coucher. Nous estions si gaillards, et nous n'en pouvons plus.

Ainsi, François, ainsi vous ramentevans le bien que vous avez perdu, et le mal auquel vous estes tombez, serez-vous destournez de vos cruelles guerres ? Ainsi renouvellant souvent la douleur, tascherez-vous à y donner remède ? Ainsi conférant les uns avec les autres, pourrez-vous juger que ceux qui empeschent vostre réconciliation sont ennemis de vostre repos ? Ainsi descouvrirez-vous que ceux qui vous veulent entretenir en division, et se présentent pour secourir les uns et les autres, ne demandent sinon à s'enrichir de vos thrésors, se braver de vos despouilles, et des ruines de vos maisons, se bastir de superbes chasteaux ? Que s'il y a quelque vray et naturel François, qui soit, ou si obstiné qu'il ne vueille devenir sage à ses dépens, ou tant accoustumé aux armes, qu'il ne se puisse tenir de démener les mains, ou si fort animé qu'il ne se puisse appaiser : qu'il me responde et nomme un seul d'entre vous qui aye beaucoup gaigné en ceste guerre. Tous les vivres sont dévorez, tous les thrésors espuisez, tous vos meubles perdus : quel d'entre vous en est plus gras, plus riche et mieux meublé ? Vostre revenu consommé, vos villages bruslez, vos villes désolées : quel plaisir, quel contentement, quelle consolation en recevez-vous ? Tant d'illustres, vertueux et généreux Princes tuez, tant de braves seigneurs et vaillans capitaines perdus, tant de millions de courageux et hardis soldats morts, estropiez, harassez : quel d'entre vous en est plus asseuré et moins en danger ? Les ports, les passages, les destroits ont esté descouverts aux estrangers : quel bien vous en peut-il revenir ? Tant de deniers desboursez : à qui est demeurée la meilleure part ? Tant de villes pillées : qui y a le plus gaigné ? Tant de chariots chargez : à qui en revient le prouffit ? Tant de femmes forcées : qui en reçoit le déshonneur ? Tant de peuple fuyant devant les estrangers : sur qui en redonde la honte ? Ils vous ont menacez en vostre propre pays : n'en serez-vous pas moins prisez ? Ils vous ont bravez en vos trouppes : n'en serez-vous pas blasmez ? Qui a donques receu prouffit, contentement, honneur de vos guerres civiles, sinon l'estranger ? Qui en a porté la perte, enduré le mal, receu le déshonneur, sinon vous François ? Vous qui aviez la puissance de conquester avec proufit, plaisir et gloire, la monarchie de tout le monde : qui pouviez retourner riches, braves et victorieux d'un pays estrange : qui aviez au moins le moyen de conserver ce Royaume en sa grandeur : vous, di-je, l'avez presque perdu, vous vous estes apovris et rendus ridicules aux estrangers.

Faictes que l'amour que devez porter à vostre pays, vous destourne. Que la perte de vos vies, de vos biens, de vos enfans, vous esmeuve. Que l'honneur de vos femmes et de vos filles vous excite. Que vostre propre misère vous appaise. Et puis qu'entre tant de maux, au milieu des tempestes et orages de la guerre la plus cruelle qui fust oncques, toutes choses estant désespérées, vous avez un Roy qui vous veut mettre en paix, qui désire vous maintenir en amitié les uns envers les autres : qui tasche par tous moyens de remettre ce povre Royaume : qui s'estudie à vous soulager : qui s'efforce tant qu'il peut à oster ces sensues de dessus le corps de la France : obéissez à ses commandemens, suyvez sa bonne volonté, et vous asseurez qu'il vous remettra en une bonne paix : en laquelle si vous voulez longuement demeurer, ce que vous devez désirer, gardez-vous d'entrer en suspicion les uns des autres, ne croyez ces rapporteurs qui vous voudront mettre en deffiance. Advisez quels seront ceux qui vous conseilleront de reprendre les armes, et jugez s'ils reçoyvent plus de proufit et d'honneur de la guerre que de la paix : ne vous laissez persuader par les estrangers qui vous promettent le bois duquel vous estes bruslez, qui vous chérissent pour attraper vostre argent, qui feignent de vous aimer, afin qu'ils soyent héritiers de vostre pays.

Que si le zèle de l'honneur de Dieu et de la religion vous incite de part et d'autre, considérez tous ensemble qu'au milieu des armes Dieu est plustost blasphémé qu'honoré : et que pendant vos guerres la religion, la piété, la justice n'ont esté en révérence. Si vous avez désir de revoir toutes choses policées et remises en leur premier estat : jugez en voyant le désordre auquel pour la guerre vostre France est maintenant, que les armes ne sont pour reigler et réformer, mais pour desreigler et difformer toutes choses. Si un bien public vous pousse : vous voyez que les guerres ont apporté un mal commun, une perte publique, une ruine universelle. Changez donques d'opinion, réformez vos conseils, posez les armes, embrassez la paix.

Et si, à l'exemple des autres, vous n'avez encores peu devenir sages, que vostre propre exemple, que la peine, que le travail, que la povreté, que la désolation, que le feu, le sang, les cruautez que vous avez souffertes vous rendent mieux advisez à l'advenir. Vous estes frères, vous estes parens, vous estes voisins : vous vivez en un mesme pays, sous mesmes loix, sous un mesme Roy, le plus doux, le plus clément, le plus amateur de vostre repos que vous eustes oncques. Accordez-vous, vuidez vos différens amiablement, puis que les armes depuis seize ans ne vous ont peu accorder. Vous estes assez sages, sans appeler des estrangers pour arbitres, qui tireront des deux costez, et vous entretiendront en débat. Ils ne sont de mesme naturel que vous, ni de mesmes moeurs : ils n'ont mesmes façons de faire, mesmes complexions, pour pouvoir juger de vos affaires : ils ne vous cognoissent pas, mais seulement vostre argent et vos meubles : ils ne savent les moyens de vous entretenir, sinon en guerre. Il n'est possible qu'ils vous accordent, sinon en ce que n'aurez les uns plus que les autres, et eux emporteront tout. Vous seuls le pouvez faire, si le voulez : et le devez vouloir, s'il reste en vous quelque sentiment, si estes esmeus de la destruction de vostre pays, si vous avez pitié de vos femmes, de vos enfans, de vos familles : si vous aimez vostre vie, vos biens, vostre liberté : si vous désirez vous revoir encores bien-heureux, aimez, craints et redoutez de toutes les nations.

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Imprimé pour la première fois
en 1576

ET RÉIMPRIMÉ EN JANVIER 1876
par

CL. MOTTEROZ
Typographe à Paris, rue du Dragon, n° 31.
 

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