--- ATTENTION : CONSERVEZ CETTE LICENCE SI VOUS REDISTRIBUEZ CE FICHIER --- License ABU -=-=-=-=-=- Version 1, Aout 1997 Copyright (C) 1997 Association de Bibliophiles Universels http://www.abu.org/ www@abu.org La base de textes de l'Association des Bibliophiles Universels (ABU) est une oeuvre de compilation, elle peut être copiée, diffusée et modifiée dans les conditions suivantes : 1. Toute copie à des fins privées, à des fins d'illustration de l'enseignement ou de recherche scientifique est autorisée. 2. Toute diffusion ou inclusion dans une autre oeuvre doit a) soit inclure la presente licence s'appliquant a l'ensemble de la diffusion ou de l'oeuvre derivee. b) soit permettre aux bénéficiaires de cette diffusion ou de cette oeuvre dérivée d'en extraire facilement et gratuitement une version numérisée de chaque texte inclu, muni de la présente licence. Cette possibilité doit etre mentionnée explicitement et de façon claire, ainsi que le fait que la présente notice s'applique aux documents extraits. c) permettre aux bénéficiaires de cette diffusion ou de cette oeuvre dérivée d'en extraire facilement et gratuitement la version numérisée originale, munie le cas echeant des amélioration visée au paragraphe 6, si elle sont présente dans la diffusion ou la nouvelle oeuvre. Cette possibilité doit être mentionnée explicitement et de façon claire, ainsi que le fait que la présente notice s'applique aux documents extraits. Dans tous les autres cas, la présente licence sera réputée s'appliquer à l'ensemble de la diffusion ou de l'oeuvre dérivée. 3. L'en-tête qui accompagne chaque fichier doit être intégralement conservée au sein de la copie. 4. La mention du producteur original doit être conservée, ainsi que celle des contributeurs ultérieurs. 5. Toute modification ultérieure, par correction d'erreurs, additions de variantes, mise en forme dans un autre format, ou autre, doit être indiquée. L'indication des diverses contributions devra être aussi précise que possible, et datée. 6. Ce copyright s'applique obligatoirement à toute amélioration par simple correction d'erreurs ou d'oublis mineurs (orthographe, phrase manquante, ...), c'est-a-dire ne correspondant pas a l'adjonction d'une autre variante connue du texte, qui devra donc comporter la présente notice. ----------------------- FIN DE LA LICENCE ABU -------------------------------- --- ATTENTION : CONSERVEZ CET EN-TETE SI VOUS REDISTRIBUEZ CE FICHIER --- <ARCHIVE http://www.abu.org/ABU/ > <IDENT m702douai> <IDENT_AUTEURS anonyme> <IDENT_COPISTES dubreucqe> <VERSION 2> <DROITS 0> <TITRE Le manuscrit libertin anonyme n° 702 de la Bibliothèque Municipale de Douai> <GENRE prose> <AUTEUR anonyme, transcription d'Eric Dubreucq> <COPISTE Eric Dubreucq (dubreucq@cnam.fr) > ----------------------- FIN DE L'EN-TETE -------------------------------- ------------------------- DEBUT DU FICHIER m702douai2 --------------------------------AVERTISSEMENT -------------
Nous donnons ci-dessous la transcription d'un manuscrit tiré du fonds public de la Bibliothèque Municipale de Douai. Il s'agit du manuscrit relié numéroté 702, qui est le recueil de plusieurs textes, recopiés par une seule main (l'écriture est la même de la première à la dernière page, à deux exceptions près : la table des matière ajoutée au titre du premier folio et la mention de la page de garde qui suit le dernier texte sont d'une autre main). Ces neuf textes sont :
1° Dissertation sur le Sentiment des Betes, l'Instinct et la Raison, Contre les Cartésiens
2° Sur la musique
3° De la sympathie et de l'antipathie
4° De l'instinct dans bien des actions
5° Arguments du Pirronisme
6° A Mr***, que l'ame n'est que sentiment
7° De la vraie et de la fausse gloire
8° De l'ame et de ce qu'elle devient après la mort
9° Des différentes religions d'hollande.
Nous espérons compléter cette diffusion du manuscrit 702 par celle du manuscrit 703. Il s'agit de manuscrits libertins d'un ou de plusieurs auteurs anonymes, probablement de la première moitié du XVIII° siècle (la date de 1726 figure au FOLIO 53 v. li. 12). La collection du manuscrit n° 702 est de ce point de vue tout à fait exceptionnelle. On consultera la liste la liste des manuscrits donnée par le livre édité par O. Bloch sur la question de la littérature libertine clandestine chez Vrin : la bibliothèque de Douai possède l'un des fonds les plus riches, avec celui des bibliothèques de Troyes et de Rouen.
La transcription que nous offrons respecte l'orthographe du Mns. Elle doit se lire de la manière suivante :
- l'indication [FOLIO + n°] est l'abréviation de folio suivie du numéro correspondant (les folio non numérotés ont été numéroté en "bis" par nous-mêmes) ;
- l'indication "v." qui suit le numéro du folio indique qu'il s'agit du verso du folio ;
- Un retour à la ligne simple indique le changement de ligne dans le Mns original ;
- Un double retour à la ligne indique un changement de paragraphe dans le Mns original ;
- Certaines lignes sont soit des marges, soit des corrections interlinéaires : la mention [MARGE:] suivie du texte signifie qu'on a affaire à un ajout marginal (nous l'avons recopié au niveau de la ligne où il débute : les mentions marginales sont d'une écriture plus petite, en double interligne). Nous les avons fait suivre, éventuellement, de la mention [FIN DE MARGE], lorsque une ambiguïté était possible. La mention "X" signifie que l'on affaire à un ajout ou à une correction interlinéaire. La correction est portée au niveau de la ligne où elle est donnée dans le Mns original, précédée de la mention : "[INTERL:]"
- Il y a dans le manuscrit original deux sortes de ratures : les unes ont rendu le mot ou la partie de mot raturés totalement indéchiffrable, nous les avons notées "###" en essayant de respecter le nombre de signes raturés. Sous les autres, on peut encore lire le mot raturé : nous avons alors noté ce mot ou cette partie de mot en la faisant précéder et suivre du signe "/" (ainsi le mot "Rature", s'il est raturé, s'écrira : "/Rature/".
Il va de soi que, malgré mes soins, des fautes se seront immanquablement glissées dans ma transcription. Je ne manquerai pas de mettre à jour la présente version et de l'améliorer. Vous pouvez y contribuer en me faisant parvenir toutes vos suggestions et toutes vos corrections : il vous suffit d'envoyer de m'écrire à dubreucq@cnam.fr, ce dont je vous remercie par avance.
Eric Dubreucq, Douai, France. 1996.
TRANSCRIPTION -------------
[FOLIO 1 ]
1° Dissertation sur le Sentiment des Betes, l'Instinct et la Raison, Contre les Cartésiens
2° Sur la musique 3° de la sympathie et de l'antipathie 4° de l'instinct dans bien des actions 5° arguments du Pirronisme 6° a mr. que l'ame n'est que sentiment 7° de la vraie et de la fausse gloire 8° de l'ame et de ce qu'elle devient après la mort 9° des diff. religions d'hollande
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Sur le Sentiment des Bêtes
Vne des plus celebres jnuentions de Décartes, est sans doute celle de l'ame des Bêtes, qu'il faut auoüer que les Ecoliers ont soûtenuë auec beaucoup d'esprit, parti- culierement vn d'entr'eux qui a fait vn excellent liure jntitulé L'Ame des Bêtes. Quoique l'auteur ait renoncé a la gloire que cette jngenieuse composition deuoit lui donner dans son parti, cependant on m'a dit que son nom, qu'il n'a marqué que par vn A. et vn D., étoit Monsieur D'Armanson, refugié en Hollande . Afin de ne point affoiblir ce qu'il auance, jl pretend que les Cartesiens, dans vn certain sens, ne nïent point que les animaux n'ayent des Sentiment. Mais on verra en quoi jls different de l'homme. "Premiere= "ment, dit-il, ce mot Sentir, ne signifie "autre chose que la peinture de l'objet qui "se fait sur la retine. 2° . On prend ce mot
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"pour ce qui est transmis dans le cerueau, (dans "les esprit animaux,) a l'occasion de diuers "ébranlemens, que l'objet suiuant sa diffe= "rence, a jmprimé sur les filets de la Retine. "En troisieme lieu on le prend pour les [INTERL:] XX être "mouuemens qui peuuent XX excités dans le "corps, a l'occasion d'vn cours que les esprits "animaux peuuent prendre en diuerses "parties, suiuant les endroits ou le cerueau "aura été ouuert, par l'impression que l'objet "a fait jusqu'a lui. { L'objet frape la Retine pleine d'esprits animaux, ces esprits sont repoussés vers le cerueau plein d'esprits, les- quels étants repoussés aussi, jls se repercutent et se font vn passage par certains nerfs, qui s'allongeant ou se retirant font faire certains mouuemens au corps.} L'on auoüe donc que dans ces trois manieres les bêtes sentent comme nous, qu'elles voyent etc. car nous ne voyons etc. que de cette maniere ; c'est a dire par les esprits animaux, que l'objet (je veux dire la lumiere qui se reflechit de l'objet) se pousse jusqu'au cerueau. Mais pour nous, outre ces trois choses
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précedentes, nous auons vne aperceuance, et vne pensée confuse de l'objet. Les Cartésiens pretendent que cette perceuance que nous auons manque aux bêtes, et c'est ce qui fait la difference, selon eux, entre nous et elles.
Dans la suite du Liure, nôtre Auteur explique auec beaucoup d'esprit les actions des animaux qui paroissent les plus judicieuses et les plus spirituelles, par le seul ébranle= ment que les esprits font dans le cerueau, se faisant certaines ouuertures par certains canaux ; comme les eaux qui coulent par certains endroits, et qui produisent diuers jets-d'eaux. Lesquels esprits font faire par le moyen des nerfs certains mouuemens au corps, sans qu'il ait aucvne aperceuance de ce que cette action lui fait, et de la même maniere qu'vne montre qui marque exac= tement les heures, sans qu'elle sache, ni qu'elle ait aucvne perceuance de ce qu'elle fait. On ajoûte que si les hommes ont sû faire de telles machines, et de plus merueil= leuses encore, on ne peut pas nier que le souuerain Ouurier n'ait pû et sû faire les
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machines animales telles que nous les voyons.
Ce n'est pas assés de dire, ce qui n'est pas douteux, que Dieu a pû et les a sû faire. Jl faut prouuer que les bêtes sont telles qu'on le pretend, sans perception ni connois= sance de ce qu'elles font. Cela se prouue, disent-ils, de ce que la matiere, d'autant que matiere, ne peut pas auoir de sentiment ni de connoissance. Proprieté qui est reseruée a l'ame raisonnable de l'homme, laquélle non seulement sent par le moyen du mou= uement des esprits animaux, comme les bêtes ; mais elle perçoit et connoît l'action des objets.
Jl est vrai qu'il n'y a pas de doute que la matiere, considerée comme simple matiere, ne peut pas auoir cette perception des objets, les connoître, et en faire la difference. Mais pourquoi ne pouroit-on pas dire que le Créateur qui tire l'ame de l'homme du néant pour en faire vne substance sensible et connoissante, n'ait fait aussi que la matiere qu'il a tiré du néant, et a la quélle jl a donné la
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puissance de se mouuoir d'elle-même ; (car jl faut qu'il y ait quelque chose qui se meuue par sa propre force ;) pourquoi, dis-je, ne pouuons nous pas dire auec Platon, qu'il lui a donné aussi la faculté de sentir tous ses differens mouuemens, dont la diuersité fait celles des diuerses sensations. Pourquoi ne pouroit-on pas dire encore, que cet esprit animal n'est pas absolument pur, mais que la matiere grossiere contient beaucoup de cette premiere matiere éterée, laquélle étant émûë par les objets fait le sentiment et la perception des animaux. Oh ! dira- t'on, cela aproche trop l'animal de l'home, et l'opinion de Décartes fauorise la Religion. Comment donc ? La verité de nôtre Sainte Religion a besoin de l'apuy des philosophes pour se soûtenir, et la parole jnfaillible de Dieu ne lui sert de rien ? Dites plûtôt que pour soûtenir et faire passer cette opinion de Décartes, on la apuyée sur la Religion, afin qu'on la crût. Sans faire des animaux ce qu'ils ne sont pas, n'est-il pas plus juste de croire ce que la
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Religion nous enseigne, que l'homme a vne ame jmmaterielle que Dieu crée exprés pour lui, qui est libre d'agir, et laquélle attend des recompenses ou des peines de ses bonnes ou mauuaises actions.
Je conuiens que les Cartesiens ont con= fondu la matiere et le corps, qui sont deux choses trés differentes. La premiere matiere est jmmobile, et par consequent jnsensible. A l'égard de l'objection qu'on nous fait que la matiere est jncapable de sentiment, cette objection, dis-je, ne nous regarde point, puisque nous auons montré la difference qu'il y a de la premiere matiere mobile, du corps jmmobile qu'elle produit. D'ailleurs puisque la plupart des animaux sont orga= nises comme les hommes, et que ceux-cy [INTERL:] XX ainsi que les premiers font XX les mêmes actions par les semblables ressorts des esprits, cette ressemblance peut être vne preuue que les bêtes sentent, et connoissent a peu prés comme les hommes. J'ai dit, ci-deuant, que ce qui fait la difference entre l'homme et l'animal,
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est l'ame raisonnable jmmortelle.
Voila entr'autres choses, a mon auis, ce qu'il y a entre nous et les bêtes. Celles-cy ont la même structure que nous, mais elles ne peuuent faire autre chose que de suiure les jmpressions des sens. Elles ont vne carcasse, vn coeur, et des visceres semblables aux nôtres ; vn cerueau, ou le sang en passant par ses fibres les plus subtiles, s'épure et se separe des corps grossiers qui y étoïent mêlés. Jl se forme par cette dépuration et filtration, ce qu'on apelle esprit animal sensible, qui est en quelque maniere semblable a l'esprit de vin. Cet esprit donc, suiuant qu'il est plus ou moins épuré des corpuscules grossiers, fait l'homme et l'animal plus sensible et plus connoissant. Nos plus sauans Theologiens conuiennent que l'ame raisonnable étant enuironnée de cet esprit en est émûë ; mais elle peut resister a ces mouuemens des sens, que nous auons sans doute comme les animaux. Voila, je crois, la difference qu'il y a de l'homme aux bêtes, lesquélles
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n'ayant pas d'autre ame que celle de la matiere, elles sont contraintes, comme dit l'auteur de l'ame des bêtes, de faire ce que les émotions des esprits causent dans la machine animale, connoissant ce qu'elles font pour leur propre bien ou pour leur mal. Mais l'homme peut resister a ces émotions des esprits, parce qu'il a vne autre sorte d'ame plus excellente, comme étant crée jmmédiatement de Dieu pour lui seul. C'est ce que le St Esprit nous enseigne, auquel nous deuons ajoûter plus de foi, qu'a Decartes et ses sectateurs, pour jngenieux et spirituels que puissent être leurs Paradoxes.
L'on dira peut être qu'on ne sauroit trop aider la foiblesse humaine a croire ce qu'on enseigne, et que cette opinion des Automates fait voir la difference qu'il y a du sentiment des animaux d'auec l'excellence de nôtre ame. Jl est
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vrai ; maix ceux qui sont vicieux ne croyent pas, parcequ'ils veulent être ainsi et que la volupté a laquélle jls ont doné les possede. Nous voyons de reste tous les jours des gens qui croyent, les- quels font comme s'ils ne croyoient pas. Jl est donc jnutile de leur faire con= noître, qu'ils ont vne ame jmmortelle capable de recompenses et de peines. Jls n'en font ni plus ni moins. Quoique la Foi viue soit le fondement de tous, jls ont de la Foy ; mais cette viuacité de la Foy, qui est vn don de Dieu et non pas des philosophes, leur manque. C'est ce qu'il faut precher aux hommes, et non pas que les animaux ne connoissent point. Car étant persuadés du contraire, jls seront portés a croire que tout ce qu'on leur dit ne sont que des fables, comme est celle de l'jnsensibilité des bêtes. Ce qui est dans le fond plus dangereux
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qu'utile a la Religion.
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De l'Jnstinct et de la Raison
Le vulgaire dit communement que les animaux agissent par Jnstinct, et l'homme par Raison. Cette opinion que l'on a suçée auec le lait, me fait croire qu'il faut détromper, autant autant qu'il est possible, ceux qui sont dans ce prejugé ; en faisant connoître que ce qu'on apelle Jnstinct dans les bêtes, n'est qu'vn sentiment qui est commvn à elles comme à l'homme, lequel éloigné d'agir toûjours par Raison, n'âgit le plus souuent que par le même Jnstinct ; c'est a dire par de semblables sensations. Car, comme on la pû entendre par le discours précedent, les sensations meuuent les humeurs et les esprits a faire certaines actions.
Pour rendre la chose plus sensible il faut se ressouuenir de ce que dit Aristote,
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que l'ame en general (je ne parle point ici de cette ame que Dieu crée exprès pour l'homme, laquélle est d'vne autre nature) l'ame animale, dis-je, n'est autre chose, suiuant ce philosophe, que le principe de mouuement ; c'est à dire ce qui donne le mouuement au corps, et qui le fait agir d'vne maniere ou d'autre.
Le corps donc se meut pour faire cer= taines actions de la maniere que l'ame est émûë, laquélle meut les corps ou elle est, suiuant les mouuemens qu'elle reçoit, et dont elle est agitée. L'ame dont je parle, n'est autre chose que l'esprit animal, qui est formé des particules les plus subtiles du sang et des humeurs qui se criblent dans le cerueau, ou ces liqueurs se subtilisent et se separent de ce qu'elles ont de grossier, comme la farine se separe du son quand on la tamise et qu'on la fait passer par des trous forts
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subtils. Cet esprit animal est proprement ce que j'apelle substance Eterée, laquélle se meut par elle-même ; et par vne propriété que Dieu lui a commvniquée, non seule= ment elle se meut, mais elle sent ses mouuemens, et les manieres différentes dont elle est émûe. Si elle est agitée doucement et d'vne maniere chatoüillante, par vne jnstitution Diuine de l'auteur de la Nature elle sent du plaisir, ce qui la porte à aimer et a desirer de s'vnir auec la chose qui lui fait plaisir, et de jouïr d'elle par cette vnion. Mais si cet esprit animal au contraire est agité auec violence, et d'vne /maniere/ façon pénible et turbulente, elle sent ce trouble et cette violence, et par la même Jnstitution naturelle elle est portée a haïr, ce qui cause cette agi= tation qui lui fait peine. Ce qui n'a pas besoin de preuue, puisque nous-mêmes ne sentons que trop cette verité : car la
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même main qui nous chatoüille doucement les joües, nous fait vn sentiment de plaisir, [INTERL:] sy et nous l'aimons ; mais /lorsque/ auec jmpe= [INTERL:] apliquait tuosité elle ########### vn souflet sur le même endroit, qui y causât## vn sen= timent douloureux, alors on seroit porté a haïr ce qui nous cause cette douleur. Cette experience et grand nombre d'autres que chacvn sait, et qui ne sont pas douteuses, ont porté Aristippe a conclure que le plaisir vient d'vn mouuement doux et chatoüillant, et que la peine, qui est vn degré jnferieur a la douleur, est produite par vn mouuement turbulent et âpre. Le premier de ces mouuemens, suiuant ce que je viens de dire, forme le plaisir et nous plaît, comme l'autre produit la peine qui nous déplait, et l'vn ou l'autre sont d'autant plus agreable ou déplaisant, suiuant les degrés des mouuemens ou plus chatoüillans ou plus violens, et qui sont les plus propres
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a former le plus grand plaisir, ou la plus grande peine et douleur, d'ou prouient le plus grand amour, ou la plus grande haine pour l'objet qui cause ce mouuement dans les esprits animaux, qui sont dans le corps qu'ils meuuent et qu'ils animent. Je ne crois pas manquer beaucoup quand je dirai, que suiuant mon sentiment le plaisir et la peine (ou douleur) sont les deux poles, sur lesquels roulent toutes les actions des corps ani= lés ; d'autant que les objets qui nous causent ce sentiment de plaisir, nous men= nent a nous approcher d'eux et a les aimer, comme au contraire ceux qui nous agitent auec violence, qui par consequent nous déplaisent, ceux-là, dis-je, nous repoussent et nous meuuent a nous éloigner d'eux par la peine qu'ils nous causent. Je suis donc porté a croire que ce qu'on apelle Jnstinct, n'est autre chose que le plaisir, ou la peine, que l'objet cause a quelqu'vn de nos sens. Ainsi
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quand je vois vn cheual, vne brebis, ou autre animal dans vn Pré, qui mange vne certaine herbe, et qu'il en quite vne autre sans y toucher. Je crois que l'herbe qu'il mange chatoüille son odorat d'vne maniere agréable, et son goût encore d'auantage ; et que celle qu'il quite lui cause vn sentiment désagréable tant à l'odorat qu'au goût. Ce que l'on ne peut pas nier de nous-mêmes, puisque nous sommes portés par les mêmes sensa= tions a aimer, ou haïr certaines viandes. Lorsque je jette quelque chose a vn Chien, [INTERL:] cet animal et que ######## fleure auparauant ce [INTERL:] XX ai XX qu'il XX ensuite si que je lui XX jetté, ####### mange XX ######### ########## l'odorat y a trouué vn senti= ment de plaisir. Je crois pas que l'on doiue dire que cela se fasse par vn simple Jnstinct, mais parce que l'organe de l'odorat y a trouué du plaisir, et ensuite le goût. Ce qui me le persuade encore d'auantage, c'est que si je jette a terre deux choses differentes bonnes
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a manger, le Chien commence par les fleurer l'vne aprés l'autre, et il mange la premiere celle que j'aurois moi-même trouué la meilleure et la plus apetissante. Ce qui me fait croire non seulement les sensations du Chien semblables en quel- [INTERL:] XX mais que façon aux miennes, XX ## qu'il âgit par le même jnstinct ou principe du plaisir, et du plus grand plaisir qui me meut dans le moment, que l'on prefere toûjours au plus petit, lequel chatoüille plus foi= blement que le grand ; de même que l'on hait plus fortement, et qu'on füit auec plus d'empressement ce qui fait vne plus grande peine, que ce qui en cause moins. Voila ce qui fait qu'on souffre [INTERL:] que souuent, et ##### que l'on cherche même vne petite peine, pour en éuiter vne plus grande. On voit, par Exemple, qu'vn homme trauaille tout le jour, pour ne pas mourir de faim. Vn chien soufre [INTERL:] XX d'entrer beaucoup de coups, plûtôt que XX dans vn feu ardent qui pouroit le consommer .
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L'ane même qu'on croit le plus stupide des animaux, parcequ'il est le plus patient, soufre mille coups de bâton, plûtôt que de vouloir auancer vn pas vers vn endroit, dans lequel il peut se precipiter en vn abîme. Cette preference du plus grand plaisir au moindre, et la volonté de soufrir vne douleur moins forte pour en éuiter vne plus grande, font vne partie de ce qu'on apelle Raison natu= relle de l'homme ou de la bête. C'est proprement en quoi consiste la Raison naturelle ; c'est à dire a chercher nôtre plus grand bien, et a füir le plus grand mal naturel. Ce que nous ne connoissons pas par d'autres moyens, que par le plus ou moins de plaisir, et par le plus ou moins de douleur. Remarqués que Dieu même dans l'état present de la nature ne peut nous faire connoître ce qui est le bien, que par le plaisir qu'il y a en quelque chose, et ne sauroit nous proposer vne autre felicité dans le Paradis
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pour nôtre obeïssance que des plaisirs jnfinis et eternels, ni nous menacer d'autres maux, que d'être chatiés par des peines et des douleurs perpetuelles dans les Enfers. Par ou il paroît éui= demment, à mon auis, qu'on ne peut con= noître ni conceuoir d'autre bien dans l'état naturel, que le plaisir qui n'est point suiui d'aucvne douleur, ni d'autre mal que la peine et la douleur qui n'est point suiuie d'aucvn plaisir. Donc le urai et parfait mal, est la pure douleur sans aucvn plaisir, et le vrai bien est le plaisir sans aucvn mêlange de douleur. Ce qui se doit entendre dans l'état de nature, et des plaisirs que les Loix Diuines ou humaines ne deffendent point, les magistrats faisant succeder a leur def= fense, la douleur des prisons et les autres châtimens dans la vie presente, que Dieu fait craindre encore dans la vie future.
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La Raison naturelle consiste donc dans le plaisir qui n'admet point de douleur, et le mal dans la douleur qui n'admet point de plaisir. C'est vn effet de la Raison de s'abstenir des plaisirs qui sont précedés ou suiuis de grandes douleurs, comme c'en est vn de soufrir quelque peine et quelque mediocre douleur, pour arriuer vn jour a quelque plaisir qui soit superieur a la peine qu'on a souffert. C'est encore celui d'vne grande raison, d'abandonner tous ou la plus grande [INTERL:] XX mediocres et partie des plaisirs XX passagers que l'on peut goûter dans cette courte Vie, pour joüir aprés la mort des plaisirs éter= nels beaucoup plus grands.
Mais il faut remarquer vne autre chose, c'est que l'objet qui vous cause le plaisir, vous excite dans le même tems a le goûter, soit qu'il sorte de lui quelque chose qui meuue les esprits qui sont dans l'organe de quelque sens ; comme par Exemple, lorsque les fumées de quelque
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viande viennent a chatoüiller l'odorat, cela éxcite en vous l'apetit endormi, et vne faim que vous n'auiés pas aupa= rauant ; où que la veüe d'vn beau jardin plein de fleurs et de fontaines, non seulement vous jnspire du plaisir, mais il semble qu'il vous éxcite a vous promener, et a jouïr de sa veüe. Je ne parle pas du plaisir que vous fait la ueüe d'vne personne aimable, qui vous excite a jouïr de sa compagnie, et dont l'absence même vous est facheuse, ce que vous ne soufrés qu'auec vne peine plus ou moins grande, a pro= portion du plaisir plus ou moins vif que sa veüe vous a fait, peine que ceux qu'on apelle amoureux connois= sent mieux que les autres. Quelque chose d'aprochant se peut dire d'vn son armonieux qu'on entend d'vn peu loin, lequel semble vous attirer, et vous jnuiter a vous en aprocher pour en
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joüir plus a l'aise et plus en entier ; soit que ce second effet vienne de ce que la nature ait jnstitué que le plaisir uous attire, et fasse en nous vne espece d'jnstigation pour en joüir et chercher l'objet, afin qu'il continuë dans nos esprits ce chatoüillement agréable. De manière que cette Jnstitution de nature, (car on ne peut le raporter a d'autre cause,) et cette espece d'jnstigation que l'objet forme, vous attirant pour joüir du plaisir qu'il vous fait, de ces deux mots, dis-je, d'jnstigation et d'jnstitution de notre nature dériue (a mon auis) le mot d'Jnstinct, comme qui diroit jnstitution et jnstigation à joüir d'vn plaisir. Ce que la nature a jnstitué ainsi, et non pas d'autre raison. C'est elle, comme le dit Aristote, qui a donné aux animaux la faculté de sentir, le plaisir ou la peine. Mais il est à remarquer qu'outre les organes
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organes exterieurs, il y en a encore d'autres qui sont dans nôtre jnterieur, parmis lesquels Epicure met la faim et la soif, dont le siege est dans l'estomac et dans le gozier. Ces sensations péni= bles sont faites, comme toutes les autres sensations, pour notre bien ; d'autant que par le picotement de la faim nous sommes auertis que l'estomac est a vuïde, et qu'on a besoin de manger, comme le gozier nous indique qu'on à besoin de boire, et que par le même Jnstinct ou jnstitution de nature nous agissons pour nous deliurer de ces sensations pénibles, en cherchant de quoi manger ou boire, suiuant l'jnstigation de la sensation de quelqu'vn de ces organes, ou de tous les deux, et cet Jnstinct est sans doute aussi commvn aux hom= mes comme aux animaux. Vn Cheual, ou autre animal, qui voit vn champ verdoyant, dont l'herbe est tendre,
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agreable, et bonne a son gout, il y court dans le moment si rien ne l'en empêche, comme l'homme qui voit vne Table seruie de mets agreable a son goût, ###### est excité a en manger, par cette jnstigation que produit ce qui peut faire plaisir, ainsi que la Nature l'a Jnstitué.
Cependant vne des choses la plus digne de remarque, c'est que non seule= ment la presence de l'objet qui fait plaisir ou douleur produit cet effet précedent, mais l'jdée ou l'jmage du plaisir qu'il a fait autrefois vous excite, et cause la même jnstigation a le chercher, comme s'il étoit present. Cette Jmage est ce qu'on apelle Souuenir ou memoire, dont il semble que le cerueau soit l'organe particulier, de même que l'oeil ou l'Oreille le sont de la veüe ou de l'ouye. Ce qu'il y a de plus admi= rable dans cet organe, est que les autres
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autres sens ne voyent, n'entendent etc. et ils ne font leurs operations que par la presence de l'objet ; car l'oeil ne voit que ce qui se presente deuant lui, l'oreille n'entend que lorsque le corps resonnant agite l'air, et le nés ne sent l'odeur que quand quelques exhalaisons s'éleuent du corps odoriferant vers cette partie. Mais l'organe de la memoire voit, entend etc. sans objet present, se ressouuenant de ce qu'il a vû, ou entendu, ou goûté, et souuent auec le même plaisir, ou la même peine, que les choses ont fait à ces organes ou autres. Jl est excité et il sent la même jnsti= gation pour en joüir encore, comme il l'a eû lorsqu'elles étoïent presentes, et cette jmage, ou jdée, qu'on apelle memoire et reminiscence, a vne semblable force pour l'exciter à les chercher afin d'en joüir, ou a les füir comme désagreables, de même que s'ils étoïent actuellement presens.
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Mais ce qu'il faut remarquer, c'est que la memoire ne se forme que par les sensations precedentes, d'autant qu'on ne se souuient pas de ce qu'on n'a jamais senti. De maniere que le cerueau est l'organe du sens commvn, c'est à dire l'endroit ou tous les sens aboutissent ; car tous les nerfs, et les esprits animaux dont ils sont remplis, viennent du cerueau. Ce qui est vn des plus sublimes ouurages de la nature de voir ce qu'on ne voit pas mais qu'on a vû, d'entendre ce qu'on n'entend point, mais qu'on a entendu, et de sentir les mêmes émotions, ou a peu près semblables, que celles qu'on a ressenti en les voyant, ou en les entendant etc. car on est aussi agreablement émû par l'jmage que le souuenir presente d'vne belle et aimable personne, comme on est émû et jrrité par le souuenir de quelques mauuais discours, ou épouuanté par l'jmage de
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quelque danger qu'on a échappé. Les sensations précedentes produisent la memoire, suiuant Aristote, quand elles restent jmprimées dans le cerueau. Epicure nous donne quelqu'jdée de la maniere dont les sensations peuuent produire la memoire. Jl dit, ce qui est trés probable et trés apa= rent, que lorsque l'objet produit quelque sentiment, comme, (par Exemple,) quand vn [INTERL:] XX rouge corps XX fait le sentiment de cette couleur dans l'oeil, alors la lumiere qui se réfléchit du corps rouge venant a frapper la retine ou est l'esprit animal, elle répercute cet esprit vers le cerueau, et par cette réper= cussion dans la substance molle de cette partie se forme vne espece de trace, ou de rigole, qu'on peut apeller l'jmage de la couleur rouge ; de la même maniere que sur le cuiure, ou sur le bois, on forme auec vn burin de lignes et des traces, qui désignent le visage, ou la figure de quel= que chose. Or toutes les fois que l'esprit
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animal vient remplir ces traces, ou rigoles, on voit jnterieurement la même jmage de la chose dont quelque sens auoit été affecté, comme lorsque l'on remplit les traces du cuiure, ou du bois graué, auec de l'encre ou autre liqueur colorée, en apliquant ce cuiure sur vn papier ou vne toile, on voit la même jmage qui est peinte ou grauée dans le cuiure. C'est a peuprés, dit Epicure, (et Décartes aprés lui,) de cette maniere que la nature fait sentir par ce sens commvn ou tous les autres sens, les mêmes affections et les mêmes desirs de joüir, ou de füir vn tel objet comme s'il étoit present, et c'est ce qu'on apelle memoire ou jmage de l'objet, laquélle produit les mêmes affections comme s'il étoit present.
Aristote a fort bien connu cette verité, que les sensations produisoient la memoire, quoiqu'il ne dise pas comment.
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Je raporterai vn passage de lui a ce sujet, qui m'a toujours parû si beau, que je le crois digne de toute l'attention du Lecteur. "C'est la nature, dit-il, qui fait que les ani= "maux ont du sentiment. (On ne peut dire "autre chose sur ce point.) Mais les sensations "restent jmprimées et grauées (dans le "cerueau comme je l'ai dit) en quelqu'vn ##, [INTERL:] XX ce qu'on apelle "et XX memoire se forme, en d'autres elle ne "se produit point, parcequ'elles ne restent "pas. Jl arriue par là que quelqu'vns sont "capables de Prudence, et d'aprendre cer= "taines choses. Car la Prudence ne s'aquiert "pas sans aprendre (et sans se souuenir de "certaines choses passées). Or on ne peut pas "aquerir la prudence sans aprendre, (et sans "le souuenir de ce qui s'est passé.) C'est ce "qui est cause que quelques animaux sont "plus capables de prudence, que ceux qui "n'ont pas de memoire. Or par la memoire, "laquélle se forme par les sensations "externes, on aprend et on connoît plus
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"ou moins, suiuant qu'on a plus ou moins "de memoire ; d'autant qu'on ne peut "pas aquerir la prudence, ni s'instruire "sans aprendre (et sans memoire). C'est "pourquoi les animaux qui ne peuuent "pas entendre le son de la voix, comme "par Exemple les abeilles, et autres sem= "blables qui n'ont pas l'organe de l'oüye "ne sont pas capables d'jnstruction, ni "de rien comprendre (par ce sens de l'oüye, "Mais ceux qui ont l'organe de l'oüye, "et qui au surplus ont de la memoire, jls "peuuent aprendre. Les autres animaux "qui manquent de memoire agissent par "des Fantasie et par des memoires presentes. "C'est a dire par les jmages des choses "presentes.) Jls n'ont point, ou trés peu "d'experience ; mais le genre humain, "âgit par raisonnement et par Arts. "Car par la memoire l'experience se "forme dans les hommes (et dans les
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"animaux qui ont de la memoire.) D'au= "tant que plusieurs memoires (ou sensations) "d'vne même chose, forment vne experi= "ence (certaine.) C'est pourquoi l'experience "est quasi semblable à l'art (en se resou= "uenant de plusieurs experiences ou sensations.) "Car, comme dit Polus (chés Platon,) "l'experience fait l'art, et l'jnexperience "le hasard ; (d'autant que ceux qui n'ont "point d'experience, font ce qu'ils font au "hasard etc.
Par ou l'on voit que le grand génie d'Aristote a bien compris que la memoire se formoit par les sensations précédentes. [INTERL:] XX de ce philosophe Je crois qu'Epicure a pris /d'Aristote / la doctrine des jmages des choses qui se peignent dans le cerueau, puisqu'Aristote dit : Que la memoire se forme comme si on peignoit dans vne table, auec vn peinceau, l'jmage de la chose qu'on sent ; de même les phantômes ou l'jmage de la
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chose se peint en nous, (dans le cerueau,) ainsi qu'Epicure l'a montré plus au long. Car aux grands esprits, (tel qu'étoit celui d'Epicure,) il ne faut que peu de mots pour leur faire penser beaucoup. C'est sur le peu qu'Aristote en a dit que ce dernier a formé son sisteme d'vne maniere plus claire, que Décartes s'est aproprié a son ordinaire, sans en faire honneur qu'a lui seul. Jl s'ensuit de là, que la memoire est produite par les sensations. De quoi il y a vne preuue éuidente, c'est qu'on ne peut se ressouuenir que des choses que les sens ont representé.
On peut pouuer que la memoire est vn organe comme l'oeil et l'oreille etc. d'autant que comme ceux qui n'ont point d'yeux ni d'oreilles, ne voyent et n'entendent pas, et que semblablement les vns ont la veüe et l'oüye meilleure et plus fine, de même les vns ont plus ou moins de memoire ;
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et ce qui jmporte, c'est que comme la veüe et l'oüye se perdent en partie ou tout a fait auec l'âge, de même la memoire se perd peu à peu, a mesure que le cerueau qui en est l'organe se durcit de maniere que les traces ou rigoles ne peuuent pas se former facilement, comme dans les personnes qui ont le cerueau tendre et moû, tels que sont les enfans, qui ont par cette raison beaucoup plus de memoire que les gens âgés. Jl y a des personnes qui ont perdu tout a fait la memoire, comme entr'autres vn philosophe dont j'ai oublié le nom, duquel l'Histoire raporte qu'il auoit si bien perdu le souuenir de toutes choses, qu'il ne pouuoit pas dire son propre nom.
Je crois qu'on peut être conuaincu par tout ce que je viens de dire, que le cerueau est l'organe de la memoire, et que pour cela on l'apelle le sens commun, parceque toutes les sensations
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aboutissent a cet organe, qui represente jnterieurement toutes les sensations que les autres sens ont experimentés et senti exterieurement, de la maniere ou a peu prés que je l'ai dit.
Ce qui n'empêche pas de dire auec Aristote, que la memoire ne soit vne puissance de l'ame, comme les sensations qui sont aussi des puissances ou facultés de l'ame, d'autant que le corps mort ne sent et ne se ressouuient pas, et qu'il n'exerce aucune des facultés qu'exerce vn corps viuant et animé.
Par tout ce que je viens de dire on peut être persuadé, (je crois,) que l'ame n'est pas vne substance qui pense ; mais vne substance qui sent. Parceque toutes les operations que l'on attribuë à l'ame ne sont que des sensations, et qu'on ne peut penser qu'aux chose que l'on a senti. C'est sur ce fondement qu'Aristote a
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défini l'ame, anima motiuum et sen= titiuum est. Que l'ame est vne substance qui meut et qui sent . Car le corps animé ne se meut que par la vertu de l'ame, et il ne sent que par elle. Je ne cite pas Aristote si souuent pour m'apuyer de son autorité ; mais pour faire voir que ce grand génie, que les Cartésiens meprisent, a montré ce qu'eux-mêmes ne connoîtront peut-être jamais. Je conuiens pourtant auec eux, que ce n'est pas l'autorité d'vn homme sauant qui doit rendre vne chose veritable ; mais c'est la verité même, comme il le dïsent, qui doit faire la verité ; et je crois (si je ne me trompe) auoir fait tous mes efforts pour montrer qu'Aristote a dit la verité, en expliquant ce qu'il auoit écrit vn peu obscurement, comme font tous les grands génies, lesquels entendant bien ce qu'ils disent, ils le disent en peut de mots, croyant que tout
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le monde doit l'entendre aussi facilement qu'eux.
C'est donc le plus ou le moins de memoire, qui se forme comme je l'ai dit par les sensations, qui fait la difference d'vn animal a vn autre ; et que ceux qui ont le plus de memoire, ont aussi le plus de prudence, laquélle vient de l'experience. C'est pour cela qu'vn animal qui a repu dans vn champ semé de bled, quand il en rencontre quelqu'vn qui soit en herbe, s'il se ressouuient du plaisir que cette herbe tendre ou autre lui a fait en la mangeant, alors il y court, non pas par Jnstinct, comme disent quelques personnes ; mais parceque l'jmage du plaisir qu'il a experimenté par le goût se presente a lui comme autrefois, et c'est, a mon auis, ce qui forme l'Jnstinct. Ainsi quand on jette vn morceau de viande a vn Chien dont il a déja mangé, en la
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voyant seulement, il y court d'abord et la mange.
De maniere que je suis persuadé que le mot d'Jnstinct n'est pas vn mot en l'air, mais qui signifie vne jnstitution de la [INTERL:] laquélle Nature, ### a donné aux bêtes vn sen= timent par lequel l'objet produit en eux quelque plaïsir ou quelque peine ; par ou elles connoissent ce qui leur est bon ou mauuais ; et que si elles ont de la memoire sans que l'objet soit assés proche pour leur faire vn tel sentiment, elles le connois= sent de loin, se ressouuenant du plaisir ou de la peine qu'vne telle chose leur a faite. C'est pourquoi lorsqu'vn animal court dans vn bon pâturage, il n'y court pas comme vne piece de bois jnsensible ; mais parcequ'il se ressouuient du plaisir qu'il y a trouuué, et que cette jmage agre= able dont il se souuient produit en lui vn semblable plaisir et vn apetit d'en joüir,
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comme il a fait autrefois. Ayant montré que l'jmage de quelque chose, que le souuenir nous presente, produit a peu prés vne même sensation, et le même désir de joüir du plaisir qu'on a goûté autre= fois par son moyen.
Je dis encore que c'est ce plaisir ou cette peine, qui fait la Volonté de joüir ou de füir l'objet ; d'autant qu'elle est formée, suiuant Aristote qui a connu cette verité, par les mouuemens de volupté ou de peine que l'objet jnspire. Car l'ame étant mûë agreablement, elle veut toû= jours ce qui lui fait plaisir, a moins que la peine et la douleur plus grande ne le précede ou le suiue. Ce qui fait dire a notre philosophe, que l'ame n'est mûe que par quelqu'apetit. Jntellectus (l'ame) -non videtur mouere sine appetitu_. Jl dit encore que cet apetit est la cupidité et la haïne, qui forment et qui sont la
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même chose que la Volonté. Nam apetitus [MARGE:] anima [MARGE:] l 3. C. 7. est cupiditas jra atque voluntas. Etant certain qu'on ne peut sentir de plaisir qu'on ne le veüille, d'autant que simple plaisir ; comme on ne veut jamais la douleur, d'autant que simple douleur. Quoiqu'on choisisse volontairement la douleur, pour joüir d'vn plus grand plaisir, et que l'on quite le plaisir pour éuiter vne plus grande douleur.
Mais cette proposition que l'apetit du plaisir forme la volonté d'en joüir, comme la haine de la douleur forme celle de la füir ; cette proposition, dis-je, me donne occasion de rechercher en quoi consiste la Raison.
Je dis donc que l'on peut considerer la Raison en deux manieres. La premiere est la Raison speculatiue, par laquélle on paruient par le raisonnement des choses connuës a la connoissance de celles qu'on ne connoissoit pas auparavant.
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C'est cette raison, sans doute, qui rend l'homme beaucoup au dessus de tous les animaux. Comme lorsque Pitagore trouua, par Exemple, que les Carrés formés sur les deux côtés du triangle étoïent égaux a celui que l'on formoit sur l'Hipotenuse, ou subsendante. Ce qui lui fût jnspiré pour ainsi dire par la connoissance des ### quarrés de ces trois nombres 3. 4. 5. ; car le carré de 3. est 9., et celui de 4. est 16., qui joints ensemble font 25., comme le carré de 5. est 25. qui est égal au precedent. Dans laquélle espece de raison on peut mettre toutes les verités Geometrique, et les conjectures phisiques ; mais ce n'est pas de celle-cy que j'entends parler ici. L'autre espece de raison, de laquélle il est question, regarde le bien-être de lapersonne, et on peut la définir : la connoissance que le raisonne= ment nous donne du bien ou du mal qui peut arriver d'vne telle action, fondée sur cette jnstitution de nature, ou Jnstinct
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naturel par lequel chaque animal veut son propre bien et sa felicité presente laquélle consiste, comme on l'a dit, dans la joüissance du plaisir present, et dans la priuation de la peine et de la douleur pre= sente. Car je crois avoir montré que l'home, non plus que l'animal, ne connoissent d'autre bien ni d'autre mal naturel, que le plaisir et la douleur. Jls aiment, et ils veulent le premier ; mais ils abhorrent et ne veulent point l'autre.
Cependant la difficulté consiste, en ce que les choses de ce monde sont mêlées de maniere, que rarement on peut par= uenir a quelque plaisir, particulierement quand il est grand, sans soufrir quelque peine. Ce qui est encore pis, c'est que sou= uent certains plaisirs sont suiuis de peines et de douleurs fort grandes ; come lorsqu'on prend le plaisir de la vengeance en tuant son ennemi, ou qu'en mangeant et bûuant trop la santé en soufre. D'vn
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autre côté certaines peines et douleurs pro= duisent de grands plaisirs, tels sont, par Exemple, ceux qui trauaillent a aquerir des richesses, s'exposant a de grands dangers, veillant, et couchant sur la dure, pour par= uenir a ce point d'être riches, ce qui les met ensuite en état de joüir de tous les plaisirs que les richesses peuuent donner. Or c'est dans ce cas, ou le bien et la plaisir est precedé ou suiui de douleurs ; ou que la peine et la douleur produiront des plaisirs ; c'est dans ce cas, dis-je, que l'homme aussi bien que l'animal se trou= uent souuent ambarassés. Car l'apetit du plaisir attire, et l'on veut suiuant l'ordinaire le plaisir ; mais on ne veut point la peine et la douleur qu'on abhorre. Que fera t'on donc. Je dis que la plus forte sensation jnterne l'emportera. D'autant que si l'apetit du plaisir futur est plus grand, l'on voudra la peine qui precede ou qui suit le plaisir. Par Exemple lorsqu'on est
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amoureux, et qu'on a reçû vn rendés-vous fort tard dans vne saison comme l'hiver, on y court, et on soufre le froid, le vent et la pluye, dans l'jdée de joüir dvne volupté qu'on estime fort grande. On n'a même point d'égard et on passe par dessus les suites facheuses qui peuuent arri= ver, si l'on est surpris, ou qu'on sache que l'on và dans cette maison à heure jnduë, et aux dépenses qu'il faut faire pour cor= rompre les domestiques etc. Mais si l'apetit du plaisir est jnferieur aux peines précedentes, on n'y va point, afin de ne point essuyer ces jncommodités presentes, et qui précedent le plaisir futur.
A propos de quoi il faut prendre garde que le present à d'ordinaire plus de force que le futur, ce qu'on voit particuliere= ment dans ceux a qui la Justice et les Magistrats font soufrir les tourmens de la Question, pour leur faire auoüer la
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verité de leurs crimes. Car il ne leur coûte pas plus de dire Non, que de dire Oüi, l'vn et l'autre de ces mots ayant la même quantité de Lettres. Que cette difference qu'en disant Oüi, ils sont sûrs qu'ils seront rompus vifs, tourment qui leur causera des douleurs bien plus cuisantes que celles qu'ils soufrent actuellement. Cependant la plus part disent Oüi, parceque la douleur pre= sente est plus forte que l'jdée de la douleur future, et que celle même de la mort jnfame et honteuse qu'ils sauent bien ne pouuoir éuiter s'ils auoüent. C'est la cause en partie de ce que les plaisirs presents de ce monde ont plus de force pour faire trans= gresser les Loix Divines, que les plaisirs jnfinis et plus grands qu'on nous promet dans la vie future n'en ont a #### les faire observer. Parce que le bien ou le mal present, est d'ordinaire (quoique ce ne soit pas toûjours) plus fort que le futur, d'autant
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d'autant que ce qu'on sent actuellement, est plus sensible que la simple jdée ou jmage de ce qu'on soit sentir a l'avenir. Quoiqu'il [MARGE:] Grace de Dieu qui rend come present les préjugés du bien futur. soit vrai que cette jmage de l'avenir soit trés puissante en quelques personnes, a qui Dieu donne, comme dit St. Augustin, vne telle delectation des plaisirs éternels, qu'elle est superieure a tous les plaisirs de la terre. Car, comme je l'ai jnsinüé, on ne peut surmonter et quiter vn plaisir, que par l'assûrance de joüir d'vn plus grand ; ni soufrir volontai= rement vne douleur, que par le sentiment d'en éviter vne plus grande. Ainsi, si l'on ne sent vne jdée et vne foy viue des biens celestes ; les biens et les plaisirs ######## terrestres qui sont presens l'emporteront toûjours. A moins que Dieu ne nous jmprime cette jmage par vne foy viue, laquélle pro= duise en nous vn amour et vn desir des plaisirs Celeste, qui soit superieur a celui que nous auons naturellement pour les biens de ce monde.
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Je ne feindrai donc point de dire qu'on ne peut pas surmonter vne passion que par vne autre plus forte, c'est à dire vne sensation plus foible par vne autre plus forte, car les Passions ne sont que des sensations plus viues que les simples sensations ordinaires. Ce qui se voit en ce que la veüe d'vne belle femme donne la passion de l'amour a quelqu'vns, a quelqu'autres non, et il n'y a point de folie, que ceux qui sont passionnés pour sa beauté ne soyent capables de faire, afin de paruenir a sa joüissance. Jl en est semblablement de la colere. La même parole qui n'aura point fait d'effet dans vne personne, jrritera si [INTERL:] cet fortement /l'/autre, qu'il n'y aura point d'extremité ou il ne s'expose pour venger l'jnjure qu'il pense auoir reçû par cette parole. Ce qui vient en partie
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du temperament plus ou moins sensible et spiritueux, et par consequent plus facile a être ému aux jnsultes et aux jnjures. Les Medecins disent que celui qui abonde en flegme soufrira plus patiemment, que l'autre en qui la bile prédomine sur les autres humeurs : car la bile est plus jgnée et le flegme plus aqueux, et par consequent l'vn est plus facile a être émû et a s'enflâmer que l'autre. De maniere que cette sorte de Raison, qui prouient du temperament, est commune tant aux hommes qu'aux animaux. Ce n'est en effet qu'vne sensation plus ou moins viue, qui lorsquélle est dominante on con= uient qu'il n'y a plus de raisonnement juste ni de Raison. La Raison est elle autre chose, suiuant Ciceron, que la conclu= sion du Raisonnement, d'ou cette conclusion a pris le nom de Raison. Ce Raisonne= ment n'est-il pas formé par le souvenir
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des sensations précedentes. Par Exemple : Les sensations m'ont fait connoître que le feu cause de la douleur quand on y met la main, je conclus qu'il ne faut pas l'y mettre, si je veux éviter le mal qu'il cause. C'est là la Raison du bien-être de l'jndividu.
On apelle âgir contre la Raison, quand on âgit contre les connoissances de son propre bien. Par Exemple l'homme fort colere et cruel, qui croit auoir reçû [INTERL:] dans le sang vne offense qu'il faut venger ############# de celui qui la fait ; cet homme, dis-je, sait et connoît bien que s'il donne la mort ####### à ce tel, il faudra qu'il fuye (s'il le peut) aux poursuites de la Justice qui doit le punir. Qu'en fuyant il perdra ses biens, abandonnera ses amis, ses parens, et les commodités dont il joüissoit dans sa maison et auec sa famille. Cependant si le sentiment de
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l'offense est plus fort, que celui que peuuent causer toutes les connoissances précedentes et le raisonnement qu'il fait sur elles, par lequel on concluoit que pour son bien il ne faut pas se vanger, mais suporter l'offense. Si la passion et le sentiment de la vengeance, dis-je, est plus fort et qu'il tuë son ennemi, il agît alors contre la raison de son plus grand bien. Ce qui arriue assés souuent. Qu## sert a vn amoureux de sentir que le raisonnement conclut, qu'il faut quiter et s'éloigner de cette femme (ou la femme de cet homme) qui le perd de biens et de reputation, sans compter la santé. Toutes ces connoissances, lui font faire vn raisonnement, dont la conclusion tend à s'éloigner d'vn tel objet ; mais la Raison aura beau crier et le tourmenter en vain, il dira auec Sangaride :
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Pour vaincre cet amour je mets tout en vsage, J'apelle ma raison, j'anime mon courage ; Mais a quoi servent tous mes soins, Mon coeur en soufre d'avantage Et n'en aime pas moins
Tous les discours et tous les raisonnemens ne font effectiuement qu'augmenter la peine, sans guerir la blessure. A quoi seruent les connoissances de manquer a son deuoir, quand la sensation et la pas= sion est la plus forte, elles ne font qu'aigrir le mal par la connoissance de la faute qu'on commet. Jl est vrai que la Raison est quelque fois victorieuse. Mais prenés garde qu'il y a quelqu'autre passion plus forte, ou d'ambition, ou de crainte de quelque grand jnconuenient. Car l'homme est assés miserable, dont la plus forte l'emporte sans doute sur les [INTERL:]XX autres XX plus foibles. J'ai connu vn amant qui
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quita vne fille tout d'vn coup, quoiqu'il en fût amoureux jusqu'a la folie. Mais en ayant examiné la cause, je trouuai que la passion de la jalousie bien fondée, et la crainte de se ruiner auec elle fu= rent les plus fortes causes. Quoiqu'il fût prês d'expirer par l'absence qu'il se procuroit de l'objet aimé, cependant auec le tems il guérit de cet amour, par la force des deux autres passions, qui le firent raisonner de cette maniere, qu'elles produisirent a la place de l'amour, le mépris et l'auersion. On peut dire la même chose de celui qui veut se vanger. Si la crainte du mal et l'amour du bien dont il joüit chés lui, sont plus fortes que la colere, il agira en conse= quence de la Raison, laquélle conclût de soufrir, plûtôt que de s'exposer a perir, ou du moins a endurer beaucoup de peines. Si la passion de se conserver
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la vie est la plus forte, on se laissera couper vn bras ou vne jambe, et on soufrira les operations les plus doulou= reuses pour viure, ou pour recouurer la santé. Si l'ambition ou l'auarice sont les plus fortes, on soufrira d'vn Prince, d'vn Ministre, et même d'vn ami, toutes les jgnominies qu'on n'auroit pas souffert en d'autres occasions au peril même de sa vie. Mais la passion de paruenir à vn certain point, ou le désir d'ammasser des richesses feront soufrir à cet homme, ce qu'il n'auroit pas souffert si ces passions ne le dominoient.
D'ou il paroît que cette Raison dont l'homme se pare n'est qu'vne sensation trés forte, et qu'au surplus elle n'a aucun pouuoir pour le déterminer a âgir en consequence de son plus grand bien, que lorsque les autres passions se trouuent dominées par celle-cy, qu'on peut apeller Raison,
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si le hazard veut que ce soit vne passion qui s'accorde auec nôtre plus grand bien. Ce qui ne se rencontre, comme je l'ait dit, que par hazard, et non pas par Raison. Mais pour faire voir encore plus clai= rement ce que c'est que la Raison, vous n'avés qu'a considerer un homme jvre, les fumées d'vn peu de vin ont reduit a rien la raison de cet homme sauant qui raisonnoit si bien. Vn autre, ami de la crapule, et a qui elle cause des maladies douloureuses, se résout de ne point manger et de viure sobrement, par le raisonnement qu'il fait en con= noissance de son plus grand bien. Cepen= dans s'il se trouue a vne Table ou les mets excitent et meuuvent sa gourmandise, jl en arriuera ce qui poura, mais il boira et mangera de toutes ses forces.
Jl faut venir a vne preuue encore plus éuidente, comme est (à mon auis)
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celle d'vn homme comme les autres qui deuient fou ; ce n'est qu'vn petit dérange= ment de l'organe du cerueau, ou bien vne alteration des humeurs qui le feront deuenir furieux, ou melancolique, ou plus gai qu'il ne conuient à l'homme, ou qui croira être ce qu'il n'est pas, ou de posseder ce qui n'est point a lui. Comme ce foû [INTERL:]lequel d'Athenes, /qui/ croyoit que tous les vaisseaux qui entroient dans le Port étoïent à lui. Jl y en a eû vn semblable à Paris, qui s'jmaginoit de même que les Fermes du Roy lui apartenoient, et il demeuroit sur la porte ou s'assemblent les Fermiers generaux, pour prendre garde à ceux qui pouroient frauder la f#### Ferme. Ce que les Fermiers mirent a profit, lui donnant commissions auec des apointe= mens conuenables, afin qu'il prit garde aux fraude qu'on pouroit faire a ses fermiers.
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Mais quitons les foûs, et parlons de ceux qui ne sont pas tout a fait dans ce nombre. A quoi sert le raisonnement et la Raison, qui dit à vn homme am= bitieux, qu'il expose sa vie au danger manifeste d'vne balle de mousquet ou de canon, pour s'élever au rand des braues, et pour obtenir vne charge, et vn gouuernement. Si l'ambition est plus forte que la crainte de la mort, jl affrontera tous les dangers les plus perilleux, afin, comme dit Despreaux, De sa folle valeur embellir la Gazette. Pour m'apliquer ce que le même Poëte dit ; Que me sert la Raison, qui jncessamment me crie : N'écris plus, gueris-toy d'vne étrange folie. Certainement on ne peut guere trouuer
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de folie plus étrange, que celle de pre= tendre par ces écrits, guerir le genre humain de la vanité qui est radicale a sa nature. Je connois fort bien par le raisonnement, qu'au lieu de procurer ce remede necessaire à nôtre nature cor= rompuë, j'irrite au contraire tous les viuans contre moi, tant hommes, et ce qui est encore pis les femmes. Je crois donc que ce n'est pas seulement vne peine perduë, mais vne fatigue employée auec danger de m'attirer ############# le public à dos, et par dessus tous les prétendus Deuots, lesquels diront tout au moins que je suis vn jmpie, de vouloir abaisser l'homme a la nature des bêtes, et lui ôter la Raison qui est le plus beau titre du genre humain, en voulant persuader que cette raison, dont on a fait tant de cas, n'est qu'vn sentiment animal. Je connois que c'est
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vne folie de m'éloigner du chemin battu par les Cartesiens, et de vouloir faire vne Philosophie oposée à la leur, ce qui leur donnera vn beau champ de dire contre moi, tout ce qu'on peut dire d'vn homme, qui, s'éloignant de leurs opi= nions, dit : Que l'ame n'est pas vne subs= tance qui Pense, mais qui sent. Propo= sition qui égale l'homme aux animaux, que je fais sensibles contre leur opinion, au lieu que la premiere proposition fauorisoit la Religion, qui ôtoit aux bêtes toute sorte de connoissance, et les rendoit de simples machines sans connoissance, qu'on réseruoit pour l'home seul. A quoi me seruent, dis-je, tous les raisonnemens qui concluent cette raison, que je deurois aller par le grand chemin des Cartesiens que la plûpart des gens d'esprit suiuent aujourdhui,
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quelqu'vns a la verité suiuant les occasions seulement ; on dira de moi ce que Boileau dit de ce Predicateur : Qui méprise Cotin, n'estime point son Roy, Et n'a, selon Cotin, ni Dieu, ni foy, ni Loy. Mais qu'il me soit permis de prier ceux qui me connoissent de dire avec le même Poëte, pour ma deffense : Ce Censeur que l'on peint si noïr, et si terrible, Fût vn esprit fort simple, ami de l'équité, Cherchant dans ses écrits la seule verité.
La folle passion de vouloir dire la verité et de vouloir faire l'homme d'esprit, en découurant des choses dont on ne s'est pas encore trop auisé. Cette sotte passion, dis-je, qui n'est pas d'accord auec le raisonnement qui conclût de me taire, me fait parler plus qu'il ne me conuient pour mon bien. Car
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enfin que puis-je esperer de tous mes écrits, que d'être tourné en ridicule ; et de celui-cy au lieu d'en tirer le profit que la vanité éxige, je vais au contraire par ce moyen me faire des ennemis de tous les hommes, parmi lesquels les plus dangereux seront sans doute les Dames et les Deuots. Dont le fiel est si amer et si dangereux. Je conuiens donc malgré toutes ces connoissances qui donnent lieu de former vn Raisonne= ment et vne Raison sage et prudente : Que la Raison en question ne sert de rien pour vaincre vne passion domi= nante, ce que l'experience ne confirme que trop pour nôtre malheur. Ceux qui disent autrement, ou ils trompent, ou ils veulent se tromper. [INTERL:]XX et qui conuiennent du fait, D'autres, de meilleure foy XX disent que pour vaincre cette nature corrompuë par les passions revoltées, il faut vne
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grace surnaturelle pour les surmonter. Les Conciles mêmes ont declaré heretiques, ceux qui pretendent qu'auec ses propres forces on peut vaindre les passions, qui sont, comme je l'ai dit, des sensations trés fortes. Mais d'autant qu'il n'est question ici que de Philosophie naturelle et non pas de Theologie, je laisse aux Theolo= giens a disputer sur la Grace, me suffisant d'avoir montré que les plus sages conuiennent, que les passions fortes ne peuuent être dominées que par vne autre passion plus forte, telle que peut-être celle de la gloire et des plaisirs éternels. Passion digne d'vn vrai Chrêtien, et que Dieu donne (sans changer la Nature) a quiconque l'a merité, ou a qui il lui plait, comme il fit à St. Paul, et aparamment a d'autres. Je persiste donc dans ma folle démonstra= tion, que l'homme a vne ame sensible ;
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qu'il n'est qu'vn composé de passions ; et que la Raison qu'on pretend être en lui ne sert guere à autre chose, qu'a lui faire connoître le mal qu'il fait, et a le tourmenter. Que ce tourment est encore plus grand, quand deux passions égales le combattent au même tems : Par Exemple : La volupté de quelque plaisir terrestre, soit de l'amour ou de la vengeance, et d'vne autre part la passion de joüir des plaisirs de la vie eternelle. Si au lieu d'âgir pour aquerir ceux-cy, il âgit pour joüir des plaisirs de la terre, qui le [INTERL:]vivement flattent plus ########### dans ce moment que les plaisirs futurs qu'il peut esperer dans le Ciel. Quélles peines ne soufre t'il pas de s'être laissé aller au pen= chant qu'il a eû pour le Vice. Son coeur est déchiré par la connoissance de sa faute, jl voit déja l'Enfer ouuert avec ses flâmmes vengeresses, et des
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Demons prêts à l'entraine dans les Abîmes des peines éternelles. Ces connoissances de son crime le déchirent jmpitoyablement, et ce sont les vrayes furies qui l'agitent sans lui donner de relache.
Qu'on dise donc qu'il n'est pas vrai que les Peres des Conciles enseignent les verités les plus certaines, n'ont pas ordonné de croire, que l'homme dans son état naturel ne peut avec ses propres forces naturelles, et sans secours surna= turel dominer ses Passions ; comme aussi que la Raison, qui sonsiste dans la con= noissance du mal ou la passion l'entraîne, ne lui sert de rien. Je ne dis pas autre chose, et je fais /fais/ voir au sur= plus que dans l'état de Nature la raison, qui consiste dans la simple con= noissance de son devoir et qui conclût qu'il faut abandonner le vice, ne peut pas nous faire surmonter les passions,
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qui ne sont que des sensations trés fortes, que par vne autre passion plus forte. Comme seroit celle d'vne gloire moderée, ou autre semblable, ou bien celle du Paradis, qui est la passion la plus digne d'vn Chrêtien, et en consequence de laquélle tant de personnes pieuses quitent le monde, dans l'jntention de trauailler vniquement à leur salut éternel.
Ainsi je crois auoir montré éuidem= ment a ceux qui ne resistent pas a la Verité connuë : Que la Raison de l'homme est peu de chose, ou rien, pour âgir consequemment a ce qui est nôtre plus grand bien, je ne parle pas seule= ment du bien surnaturel, mais du naturel. Car vn homme bien amoureux ne quite pas sa maitresse, ni vne femme son amant, par la connoissance de la perte de son bien et de son honneur :
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ni vn soldat ambitieux ne quite pas la [INTERL:]XX de s'exposer guerre, et ne laisse pas XX en connoissance de cause, aux dangers les plus éuidens de la mort, ou de se faire estropier. A moins que la passion de l'honneur, ou encore mieux celle des plaisirs celestes, ne l'emporte sur la passion amoureuse. Comme le soldat ne laissera pas de s'exposer aux perils, a moins que la pas= sion de se conseruer, ou la crainte de la mort, ou autre semblable, et mieux que tout cela la connoissance que ce mêtier ne se concilie pas trop avec la pieté chrê= tienne qui doit nous conduire au Ciel, ne produise ne lui vne sensation plus forte que l'ambition et le désir de s'élever.
Par ou il semble que j'ai raison de conclure, que l'homme âgit suiuant ce qu'il sent le plus fortement dans son jnterieur, qui est l'ame, et non pas
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toûjours suiuant ce qu'il pense, a moins que le sentiment plus fort ne produise vne pensée plus forte, qui forme vne Volonté superieure ou plus forte. Je le repete, on veut toûjours ce qui plaît d'auantage dans le moment, et jamais ce qui déplaît le plus dans ce même tems, comme je l'ai fait voir par l'Exemple de l'homme qui souffre les tourmens de la Justice, lequel pour dire Ouy, ou Non. Enfin la Raison dont l'homme se pare n'est rien. Car la Raison est toûjours vnique en elle-même ; mais pour lui jl est toûjours jnégal, jnconstant, et comme dit le sage Despreaux, L'homme sans arrêt dans sa course jnsensée, Voltige jncessamment de pensée en pensée ; Son coeur toûjours flotant entre mille embaras, Ne sait ni ce qu'il veut, ni ce qu'il ne veut pas.
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Jl condamne au matin les sentimens du soir. Jmportun à tout autre, a soi-même jnco= mode, Jl change à tout moment d'esprit comme de mode, Jl tourne au moindre vent ; il tombe au moindre choc ; Aujourd'hui dans vn Casque, et demain dans vn Froc.
Pourquoi cela ; parceque l'ame, qui est suiuant Aristote vne substance qui se meut et qui sent, l'ame, dis-je, est émûë par les differens objets, lesquels causent en elle les differentes sensations qui la font voltiger de pensée en pensée. C'est aussi le sentiment de Pitagore, lequel veut que l'ame, qui est selon lui vne substance mobile, se meuue et soit facilement émûë par les objet, et [INTERL:]XX produit la diuersité de ses mouuemens XX ces differentes
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sensations qui l'agitent et lui causent les diuerses pensées, ce qui arriue suiuant les differens mouuemens que les objets, ou leurs jmages, produisent en elle. Car, [INTERL:]XX suiuant ce que j'ai déja dit XX l'jmage d'vne offense, ou d'vn objet aimable, fait a peu prés vn effet sembla= ble comme si cela étoit present. Voila donc ce que c'est que l'homme, si glorieux du vain titre de Raisonnable ; mais je ne veux pas parler d'auantage de sa Raison, aimant mieux renuoyer le Lecteur à Boileau, lequel auec des termes enjoüés en a fait vne Satire plus agreable et plus judicieuse que je ne pourois faire ; car le dégoût que j'ai de moi-même, en considerant que je suis homme, me trouble l'esprit de maniere, que la plûme me tombe des mains.
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De la Musique.
La Musique et le son des jnstrumens n'est pas autre chose qu'vn mouuement de l'air poussé par le gozier, ou agité de differentes façons par le tremoussement des cordes d'vn Jnstrument. A dire la verité ceux qui ont jnuenté les jnstrumens, et qui ont enseigné a conduire la voix en certaines manieres qui pussent mouuoir et temperer les passions ; ceux-là, dis-je, ont eû quelque chose de Diuin en eux, qui leur a fait sentir et connoître la force du chant et des tons. Jl est a croire qu'ils auoïent premierement experimenté en eux-mêmes, la force qu'ils se sont efforcés de faire sentir dans le coeur des autres. Car il est certain que la Musique bien conduite peux nous jmprimer tous les sentimens de joye, de tristesse, de viuacité, de fureur et autres, qu'il plaira a vn habile joüeur d'jnstrumens ou a vne
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belle voix de nous jnspirer. Le musicien Thimoteius étoit si fort maitre des passions d'Alexandre, que lorsqu'il vouloit il le mettoit en fureur. Pitagore disposoit le matin son esprit sur le Cistre, de la maniere qu'il jugeoit a propos d'être la plus grande partie du jour. La coûtume des Grecs étoit de faire ##conduire le soir son conuiue a sa maison par des joüeurs d'jnstrumens. Vn d'eux ayant rencontré quelques jurognes qui jnsultoient les passans, Damon musi= cien, ordonna a ceux qui étoïent auec lui de joüer suiuant la modulation Dorique, ce qui adoucit et attendrit de maniere ces Jnsolens, qu'on passa outre sans receuoir aucun jnsulte de ces gens, lesquels étoïent restes comme jmmobile a la tendre melodie de ces jnstrumens et de ce Chant.
On sait que les Anciens reduisoient la [MARGE:] Le Dorique, Le Phrigien, L'Eolien, Le Lidien etc. Musique a cinq tons, chacun desquels
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produisoit certain effet. L'vn excitoit vne douce pudeur, et éloignoit la Lubricité. Tel [INTERL:]XX son étoit le XX Dorique. Le Phrigien excitoit aux combats. L'Eolien apaisoit les troubles du coeur, et il donnoit vne quietude qui excitoit le sommeil. L'Jcstis reueilloit et animoit l'esprit des hommes grossiers, et le portoit a de grandes choses. Le Lidien donnoit de la force contre les disgraces et les contrarietés du sort, et soulageoit l'ame lorsqu'elle étoit accablée par le malheur. La raison philo= sophique# de ces effets, n'est pas difficile a 1rendre, en considerant que la machine animale est pleine de vent ; car les esprits animaux #e sont qu'vne espece de vent, sui= uant la vraye signification du nom d'esprit. Le son ne consistant donc qu'a determiner l'air a tremousser d'vne certaine maniere, Jl en resulte, que cet air ainsi agité, agite aussi l'esprit jnterne de ceux qui écoutent, et les détermine a se mouuoir doucement
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[INTERL:]ou ou viuement, XX d'vne maniere lente et melan= colique, ou auec jmpetuosité, ou auec tendresse suiuant que le Musicien pousse l'air, qui communique a l'esprit vn semblable mouuement. Car de même que l'on voit par [INTERL:]XX lorsque l'experience commune que XX la corde d'vn jnsrument /qui/ est tenduë au ton d'vne autre corde, quand on touche vne de ces cordes l'autre resone et se meut semblablement, c'est ainsi que l'air externe agité, par ses adulations communique de certaine maniere ses mouue= mens a l'air jnterne, qui nous fait mouuoir et qui fait nos mouuemens et nos passions. Ce qu'il fait plus ou moins vite, suiuant les dispositions particulieres du temperament du sujet, ou du tems ou il entend le son, d'au= tant que celui qui est disposé a la joye sera plus facilement excité par vn son gai, que celui qui est affligé. C'est pour cette raison que dans le tems des combats on excite l'esprit des soldats par le son des trompetes, des Tambours, ou des autres jnstrumens,
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afin d'animer leur courage, et les étourdir pour affronter plus courageusement les dangers de la mort, en la donnant aux ennemis. C'est pour cela que les amans vont le soir sous les fenêtres de leurs belles conter [INTERL:]XX leur douloureux martire, XX ############, et auec des sons pathetiques exciter la pitié de celles qui leur sont cruelles, ou pour confirmer leur tendresse par de nou= uelles protestations. Quoique les harangues des habiles Orateurs ne paroissent pas auoir rien de la Musique, cependant l'arrange= ment de leurs paroles dans les periodes, et le son de leur voix ne laissent pas d'auoir vne force musicale, qui s'jnsinuë dans le coeur de ceux qui écoutent, et les persuade plus facilement a faire ce que l'Orateur veut. Ce qu'il ne persuaderoit pas si aisement, si le son de la voix joint a des paroles arren= gées auec art et sonores ne faisoient pas vn effet, qui, s'il n'étoit pas tout a fait musical, du moins en aprochât fort. C'est par cette cause que si des paroles accomodées a la
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musique sont prononcées par vne belle voix auec des sons conuenables, elles ont tant de force pour mouuoir les passions, particu= lierement quand vne femme les dit a vn homme. Ce n'est pas d'aujourdhui qu'on a vû des musiciennes assés laides, mais qui auoïent de trés belles voix, rendre vn grand nombre d'hommes du premier rang amoureux d'elles par le seul chant, et par l'expression viue de tons amoureux qui attendrissoient leurs coeurs, auec plus de force, que les belles personnes ne pouroient faire. Jl est certain que la plus grande partie des maladies de l'esprit se peuuent guerir, ou du moins soulager, par la musique conuenable et contraire a certaines passions. C'est le sentiment d'Hipocrate. En effet on peut facilement detourner quel- qu'vn de la tristesse qui l'accable, par des sons et par l'harmonie, pouruû que cela s'execute auec les conditions et auec l'art que Ciceron enseigne dans le traité de la consolation ; c'est a dire qu'il ne faut pas
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commencer auprés d'vn homme affligé par vn ton gai, mais au contraire, qui soit vn peu triste mêlé d'vne agreable douceur, [INTERL:]XX par des tons agreables et peu a peu chercher XX a passer jnsensiblement a vn ton joyeux. Les passions veulent être flatées, et si l'on commencoit par vn ton joyeux, cela facheroit la personne triste. Mais vne fois que le son a commencé a mouuoir ses esprits tristes, ils suiuent facile= ment le son qui les agite. Le Pere Ni= rimbery raconte de Henry IV. Roy de Dannemark, que voulant voir l'effet d'vn musicien qu'on disoit exciter les passion a vn degré extreme, jl le fit venir deuant lui et les grands de son Royaume. Le musicien commença par des sons graues a l'attendrir, et ensuite peu a peu il réjoüit la compagnie de maniere par des sons aigus et vifs, que tous auroient voulu danser. Enfin redoublant par ses secousses plus viues, plus frequentes, et plus violentes, jl transporta le Roy et ceux qui étoïent auec
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lui a vn tel point de fureur, que si le musicien n'auoit auparavant pouruû au danger il en seroit arriué vne espece de combat et la mort de plusieurs personnes ; mais ils furent arrêtés par les gardes, et parceque le musicien cessa ses sons. Sans parler de Saül qui étoit affligé ou par vne maladie, ou par vn malin esprit qui le tourmentoit, ce que David apaisoit par le son de sa harpe. Ce qu'on voit être vn effet de la simple musique et non d'aucun miracle, puisqu'vn autre musicien que /David employa/ Saül employa au lieu de David faisoit le même effet, comme l'Ecriture le dit, precisement : Que l'on conseilla le Roy de chercher vn autre musicien, pour donner du remede et du soulagement au mal quand il le tourmentoit. Teophraste enseigne que les morsures dange= reuses de la Vipere peuuent se guerir auec de certains sons, a quoi je ne voudrois pas me fier tout a fait. Jl est bien plus certain que la picure de la Tarentule se
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soulage, si elle ne se guerit pas entierement, par certains tons particuliers, au son desquels le malade danse tant que les forces lui manquent, et qu'il tombe a terre à demi- mort trempé dans sa propre sueur, auec laquélle vne partie du venin se dissipe. Le Pere Kirker raporte qu'à Tarente, ou ces dangereuses araignées sont frequentes, [INTERL:]tomba malade [INTERL:]XX étant vn Docteur ####################, et XX visité, par vn medecin, celuy-ci trouua le malade dans vne espece de Letargie, qui le rendoit stupide a tout ce qu'il lui disoit. Apres lui auoir fait quelques remedes jn= nutiles, et qui ne lui rendoient point le sentiment, le medecin habile s'auisa de lui faire joüer sur vn violon certain air qui plaît trés fort a ceux qui sont mordus par cette bête. Auquel son le Docteur comme s'il s'éueilloit d'vn profond sommeil commença à ouurir les yeux, et a sortir du Lit, se mettant a danser suiuant les mouuemens de ce son. Ce qui fit connoître
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que la maladie venoit de la picure de cette araignée qu'on apelle Tarentule, dont le poison est different, comme on le peut voir au long chés le Pere Kirker, qui en donne vne parfaite connoissance dans son traité de l'Art Magnetique.
Asclepiades medecin (au raport de Celsus) guerissoit la plûtpart des maladies [INTERL:]XX guerit auec la seule musique. Xenocrate XX auec le même remede quelques personnes furieuses. Hismenius de Thebes soulageoit auec la musique ses compatriotes malades. Les Anciens (suiuant Cajetan) faisoient enui= ronner le conuoy de ceux qu'on portoit a leur derniere demeure, par des flûtes, des haut-bois, et d'autres jnstrumens vifs. Etant persuadés que si la personne n'étoit pas tout a fait morte, elle se réueilleroit au son de ces jnstrumens, et ne se laisseroit pas enterrer encore viuante. Jl est certain que la Musique et le son des jnstrumens peut guerir vn grand nombre de maladies,
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particulierement celles qui viennent du dérangement des esprits animaux, en remettant par l'harmonie les mêmes esprits dans l'ordre et dans le mouuement qu'ils doiuent être, a quoi l'habileté du Medecin doit beau= coup contribüer par sa discretion et par son adresse, en ajoûtant a propos aux remedes corporels, ces autres spirituels. Mais la pratique de ces remedes est tout a fait abolie aujourd'hui, aussi bien que plusieurs autres choses excellentes, qui contribüent a la bonne disposition des hommes. Car la santé consistant dans vn certain mouue= ment des esprits, proportionnés aux humeurs auec lesquels ils sont mêlés. En mêlant le secours des remedes corporels auec les spirituels, on pouuoit faire en peu de tems ce que les medecins vulgaires ne font jamais, ou si par hazard il le font, ce n'est qu'en vn fort longtems, et auec beaucoup de peine et de douleur du côté du malade.
Mais en parlant des effets que la
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simphonie produit sur les hommes, je ne veux pas obmetre aussi de dire qu'elle âgit aussi sur les bêtes, afin que l'on connoisse qu'il est difficile de persuader que les Animaux n'ont point de sentiment. Le P. Niremberg assûre constamment que les Ours, les Chevaux, et les Chiens trouuent du plaisir a la musique . Vn fameux joüeur de Theorbe apellé le Moine assûroit vn de mes amis, que toutes les fois qu'il prenoit son Theorbe a dessein d'en joüer pour sa propre étude, vne souris sortoit d'vn trou et se mettoit a l'écouter auec attention. Les muletiers mettent nombre de sonnettes au tour du col de leurs mulets, afin que ces bêtes sentent moins l'jncommodités du chemin et ############### celle de leur charge, étant diverties en partie par le son de ces clochettes qui leur plaisent. De nos jours le grand Duc de Florence donnant vn Opera, jl introduisit vne danse de cheuaux, lesquels dansoient regulierement
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[INTERL:]XX au son des instrumens, XX la danse qu'on leur auoit enseigné comme on fait aux hommes.
Ce ne sont pas seulement les bêtes ; [INTERL:] certaines mais aussi /quelques/ plantes qui donnent quelque marque de sentiment et de plaisir pour la musique. Aristote apuïe claire= ment l'opinion de ceux qui tiennent que les Éponges sentent le son de la musique, en se redressant et s'éleuant parmi les autres plantes marines. Car quoique les plantes n'ayent pas l'organe des sens comme les animaux, jl n'est pas jmpossible qu'elles ne sentent d'vne autre maniere que ceux-là. Le Pere Acosta écrit du Brasil l'an 1650. qu'il y auoit dans le païs vne herbe sin= guliere, de laquélle si quelqu'vn aprochoit, elle s'entortilloit et se renfermoit en elle-même le mieux qu'elle pouuoit, comme si elle craignoit quelque danger ou jnsulte par l'aproche de l'homme ou de l'animal.
Je sais bien que ceux qui nient le
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sentiment des animaux et encore plus celui des plantes diront, que quand /même/ tout cela seroit, on ne voit en cela même que des mouuemens. Qu'on ne nïe point les mouue= mens differens des animaux, non plus que ceux des montres et des horloges ; mais qu'il s'âgit de sauoir si les bêtes sentent et distinguent comme nous. Je conuiens que cette dispute ne se peut terminer a moins que quelqu'animal ne parle, et même il ne faut pas que ce soit vn Perroquet, lequel conuainque ces Messieurs par ses paroles, de ce que ses actions nous prouuent assés, et quand on n'est point préuenu par vne opinion aussi ridicule et si contraire au bon sens, qui n'a pas besoin d'vn pareil prodige pour se déterminer a croire que les betes sentent (du plus ou moins) comme nous.
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De la Simpatie et Antipatie.
Je suis porté a croire ce que dit Aristote des sensations, qu'il n'y en a aucune qui ne vienne de l'attouchement de quelque matiere. Ainsi l'oeil étant touché de la Lumière pro= duit les diuerses couleurs, selon le plus ou le moins vif attouchement. L'Oreille est ébranlée par l'agitation de l'air, et suiuant les diuers ébranlemens prouiennent les sons differens. De même l'odorat est formé par les corpuscules jnuisibles qui sortent du corps odoriferant. Le goût par les liqueurs et les particules salines des viandes. Quoique toutes les sensations vien= nent de l'attouchement, cependant sous le nom de Tacte nous entendons quand quelque corps, de quelque nature qu'il soit, touche la peau de quelq'vn de nos membres, de maniere que l'attouchement soit assés fort, pour pro= duire vn mouuement dans les esprits qui sont dans les nerfs que la peau couure.
Or cet attouchement étant plus ou moins fort produit vn de ces effets, ou /de/ quelque plaisir, ou /de/ quelque peine. De façon que le plaisir se produit, suiuant Aristippe, par vn
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mouuement qu'il apelle Lenis, c'est a dire leger et chatoüillant. Mais le mouuement violent, Motus asper, produit la peine et la douleur. Aussi la lumiere du soleil, si agreable à l'oeil et qui lui fait voir les objets, cette lumiere, dis-je, l'jncommode si elle touche l'oeil auec violence, et que l'on regarde fixement cet astre pendant vn peu de tems. En effet on est ébloüi et on perd la veüe pendant vn peu de tems, et on la perd tout a fait si l'on est trop de tems, car alors il brûle et dérange la retine qui est au fond de l'oeil, aussi bien que l'humeur vitrée et la [INTERL:] XX et repasse cristaline. De même si vne main passe XX douce= ment sur vne joüe, elle y cause vn sentiment agreable, et on apelle cela vne caresse. Mais si la main frape auec violence, elle cause sur la joüe, ou autre partie du corps, vn sentiment douloureux, plus ou moins grand, suiuant la force et la vehemence du coup. Ce sont les effets generaux de toutes les sensations que de causer de la peine ou du plaisir, outre la sensation même conuenable a chaque organe.
Or la simpatie n'étant qu'vn sentiment
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de plaisir que l'on reçoit de l'objet ; et l'antipatie vne auersion que l'on a pour l'objet, je suis porté a croire qu'il y a quelque chose de semblable dans ce qu'on apelle simpatie et antipatie. La difficulté consiste, en ce que l'on ne voit et qu'on n'aperçoit rien qui touche aucun de nos organes, quand nous auons de l'amour ou de l'auersion pour quel- que chose. Mais nous ne voyons rien qui touche nos narines, lorsque nous sentons l'odeur agréable d'vne fleur, ou la désagreable du soufre, ou de quelque matiere fecale. Cependt. il est certain, qu'il y a des corpuscules qui s'exhalent de ces corps ; lesquels lorsqu'il n'exhalent plus rien, le sentiment agreable ou désagreable cesse, et la fleur ne sent plus rien quand elle est seche, non plus que les autres corps quand ils n'exhalent plus aucune vapeur. Comme sans la lumiere on ne voit plus aucune couleur.
Jl y a encore vne autre chose qui affecte nos sens que l'on ne connoît pas, manque de reflexion. C'est que la beauté, qui consiste dans vne certaine simetrie des membres, fait
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plaisir aux yeux ; de même que les beaux habits, les beaux meubles etc. qui flatent aussi la veüe. Le son de la voix, et les discours agreables, polis, et flateurs font plaisirs a l'oreille. Si on ne sent pas toûjours l'odeur que le corps transpire, on sent souuent la puanteur ou de l'haleine, ou des pieds, ou du gousset, ou de quelqu'autre partie du corps qui donne de l'auersion, et par la mauuaise odeur sensible, on peut conjecturer que du corps que nous voyons s'exhalent des esprits, qui nous touchent et nous meuuent agreablement ou désagreablement. Les vapeurs des femmes sur les hommes, et des hommes sur les femmes sont encore plus fortes que celles des autres animaux. Je crois ####### vrai ce que quelqu'vn a dit que s'il y auoit des microscopes ou des Lunettes assés fortes, nous verions hommes et animaux enuironnés d'vn subtil nüage qui se répand aux enuirons. Mais comme nous ne pouuons pas nous manger l'vn l'autre, s'il arriue que les deux bouches
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puissent se baiser, (s'entend entre deux sexes differens,) on sent vne espece de plaisir different de celui des viandes, lequel est encore plus grand quand tous deux s'em= brassent, et que l'vn s'enueloppe reciproque= ment dans le nüage de l'autre, particuli= erement quand les autres sens dont nous auons parlé ont disposé nos esprits a la simpatie.
Je suis donc porté a croire que la sim= patie vient du Tacte agreable de nos sens, par quelqu'vne des manieres que je viens de dire. Que si plusieurs de ces choses se trouuent concourir au même tems, alors la simpatie est d'autant plus grande, qu'vn plus grand nombre de causes agreables concourent à nous toucher et a émouuoir nos esprits animaux, lesquels sont les prin= cipes et la baze de la simpatie ou de l'antipatie, et des sensations de l'homme et de l'animal. A quoi il faut encore joindre les actions qui font plaisir et qui peuuent rejoüir, comme sont les bienfaits, les /promenad/ bons repas, les promenades,
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les Concerts, et tous les temoignages d'estime, d'amitie, ou d'amour.
Mais la plus grande simpatie est celle que nous auons pour nous-mêmes, et ce que nous apellons amour propre, d'autant qu'il est certain que nous n'aimons rien autre chose que ce qui nous fait plaisir, et que nous haïssons parfaitement ce qui nous fait quelque peine.
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Que plusieurs hommes agissent par Jnstinct en bien des choses.
Jl me seroit plus facile de montrer que les hommes, qui se laissent aller aux plaisirs ou peines que les sens leur font sentir, n'agissent que par la même jnstitution de nature. Par Exemple celui qui a les sensations flatées par la bonne chere, et plus encore par l'agre= ment qu'il trouue à boire, jl boit tant qu'il s'enniure pire qu'vne bête. Comme aussi ceux qui sont fort flatés des plaisirs de l'amour, ils ne pensent qu'a satisfaire cette passion brutale par laquélle ils tombent souuent dans des miseres encore plus grandes que celle que le vin cause. De même celui qui est né extrement auide des richesses tombe dans l'auarice, laquélle lui fait retenir l'argent qu'il possede auec plus d'auidité que son propre sang. Semblablement celui qui est fort sensible aux jnsultes, s'il en reçoit il court à la vengeance, quelque
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malheur qui puisse lui en arriuer. Mais sans citer ces exemples de morale qui ne sont que trop frequens, puisqu'il est commun que les hommes se laissent dominer par leurs sensations sans écouter la raison. Je dis que Raphaël ou le Titien ne peignoient si bien, que par Jnstinct. Je veux dire que la Nature leur avoit donné vne construction jnterne d'organes, et vne telle jmagination qu'ils faisoient ce qu'ils faisoient, comme l'araignée a en soi la proprieté d'auoir en elle vne substance propre a faire sa toile.
Jl en est de même de tous ceux qui joüent excellement de quelqu'jnstrument, ou qui excellent en quelqu'art ou mêtier. Car les Ecoliers auxquels ils montrent auec toute l'affection possible, a moins qu'ils n'ayent les mêmes dispositions jnternes des organes, ils ne peuuent pas paruenir a la même perfection. Quelque soin qu'ils se donnent pour cela, il faut que la Nature ait jnstitué leurs organes et leurs sens de maniere qu'ils puissent atteindre a la même éxcellence. J'en dis autant des operations de l'esprit ; d'autant
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que celui qui s'attache, par Exemple, à la Geometrie ou à la Philosophie, fera des progrés dans ces sciences, qu'vn autre ne fera pas. Car tout ce que nous auons dans Euclide a été trouué par differens Geometres, que celui-cy (Euclide) a compilé et arran= gé dans l'ordre merueilleux, qu'vn autre n'auroit pû faire si bien que lui, faute de cet Jnstinct dont nous parlons. S'il est permis de parler de soi-même, ce goût que j'ai toûjours eû pour la Philosophie ; ce goût, dis-je, n'est proprement qu'vn Jnstinct qui m'a porté a arranger sur le papier, mal ou bien, les choses qui me sont venües dans l'jmagination. Je crois que sans ce goût pour les arts qu'on cultiue, l'on reussit mal. Le plus ou le moins de goût que l'on a pour faire quelque chose, rend l'homme plus ou moins habile : quoiqu'il soit vrai qu'il faut que ce goût soit formé auec vn tel arrangement d'organes, qu'ils fassent ce qu'on apelle bon goût, different du
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simple goût. Etant certain que quelqu'effort que l'on fasse pour paruenir a vne certaine perfection en quelqu'art, sans l'Jnstinct tel que nous le disons, on ne fait rien qui vaille, en quelque genre de chose que ce puisse être. C'est de ces dispositions naturelles que naît la facilité que l'vn a de faire certaines choses, qu'vn autre ne peut faire, même auec beaucoup de peine et d'aplication. Ce qui se doit entendre (a mon auis) non seu= lement dans les arts et dans les siences, mais même dans la morale ; car je connois des personnes qui auroient autant de peine a faire vne mauuaise action, que d'autres a en faire vne bonne. J'ai sû qu'il y a des gens qui ont le même plaisir a tuer vn homme, que d'autres en ont a le faire. Temoin l'Histoire d'vn certain officier qui tua son hôte qui lui auoit fait plaisir, lequel étant jnterrogé par vn de ses amis pourquoi il l'auoit fait, il lui repondit : Que c'étoit parcequ'il n'y auoit rien de plus agréable pour lui, que de
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voir faire à vn homme mourant les grimaces qu'il faisoit en rendant l'ame. Ce qui me feroit füir bien loin, aussi bien que grand nombre d'autres, de qui les organes sont disposés differemment de ceux de ce monstre. Jl étoit semblable à Caligula, [MARGE:] Tacite et Suetone dans la Vie de ce Prince. lequel ordonnoit au Boureau de tuer de tuer len= tement ceux qu'il condamnoit à la mort, afin de leur faire sentir qu'ils mouroient ; assitant lui-même avec plaisir a ce cruel spectacle. Ses sentimens cruels alloient jusqu'a vn tel point qu'il desiroit que le peuple Romain n'eût qu'vne seule tête pour pouuoir l'exterminer tout d'vn seul coup. Dans ces monstres de la societe hu= maine les sens sont en vne si mauuaise disposition, qu'ils n'ont rien qui aproche de l'humanité. Ce qui a fait dire il y a long= tems, Gaudeant bene nati ; c'est à dire qu'il faut remercier Dieu, qui nous a fait naître auec de bonnes jnclinations, et conformes a la societé, parcequ'alors la Raison a moins d'efforts a faire pour surmonter
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le malheureux penchant, que la mauuaise jnstitution de nature se forme en nous. Quoiqu'il soit necessaire à la societé qu'il y ait vn Boureau : n'est-il pas honteux a la nature humaine, qu'il y ait vn homme qui fasse profession de tuer de sang-froid les hommes qui ne lui ont rien fait. Je ne veux point parler ici des Soldats, lesquels pour cinq ou six sols par jour, tüent, et s'exposent a la mort qu'ils reçoiuent souuent, pour qui ne leur en sait aucun gré.
Je finis cet article de l'Jnstinct qui pouroit nous mêner plus loin qu'il ne faut. Le peu que j'en ai dit peut mettre toute personne judicieuse en chemin, pour faire voir que la plûpart des hommes (si ce n'est pas tous) agissent plûtôt par Jnstinct en certaines choses, (et par vn certains goût qui leur procure du plaisir a les faire,) que par raison. Ce qui a fait dire au Poëte : Trahit sua quemque voluptas.
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Les Argumens du Pirronisme, Pour Vne Demoiselle qui vouloit aprendre Les Principes philosophiques de cette Secte.
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Argumens dont les Pirroniens se seruent pour prouuer que les Sens nous trompent ; et qu'ils ne nous font pas connoître ce que les choses sont dans leur Nature, laquélle nous est absolument cachée.
Jl faut expliquer d'abord qu'ils n'ont pas nié l'existence de l'homme ; mais seulement mis en doute, si tout ce qui nous paroît est tel qu'il nous semble.
Comme vn des principaux fondemens de la Doctrine de Xenophane et de ses consors roûle particulierement sur ce point : Que les Sens nous trompent, ne nous montrant que certaines aparences, et non pas ce que les choses sont en elles- mêmes et dans la verité de leur essence ; nous commencerons par cet endroit, qui
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est aussi ce que les Pirroniens soûtiennent le mieux, a peu prés de la maniere suiuante.
S'il y a quelque marque, disent-ils, pour connoître la Verité, ce doit-être sans doute l'Euidence ; c'est-à-dire ce que nous connoissons par les Organes des Sens : Or l'Euidence ne peut être la marque de la Verité, puisque nous allons montrer, que dans tout ce que les sens nous font connoître, jl n'y a rien qui soit vrai en soy : ou pour mieux dire qui soit tel qu'il nous paroît.
Democrite a été vn des premiers qui a ôté aux corps les qualités essentielles qu'ils nous paroissent auoir, nous mon= trant qu'il n'y a rien qui soit chaud ni froid en soi, ni sec ni humide, ni [INTERL:] XX ni lumineux ni coloré, XX resonnant ni disson= nant, ni odoriferant ni puant, ni acre ni doux ni amer, ni en vn mot qui soit
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agréable ou désagréable en soi, ou qui ait aucune des qualités qu'il paroît auoir. Mais que toutes ces sensations proue= noient de la diuersité des jmpressions que les atômes faisoient sur les differens organes, nous represen tant diuers Phan= tômes ou Jmages à l'esprit, par la Vertu [INTERL:] étoit de l'Être Diuin qui ### en eux ; c'est de la representation de ces jmages ou Phan= tômes, que vient le mot de Fantaisie, dont les Pirroniens se seruent pour expri= mer nos sensations. Certainement Xenophanes et ses Sectateurs qui nioïent le mouuement, et qui vouloient que nous fussions dans le monde comme des statuës jmmobiles : ne pouuoient soû= tenir l'aparence de tout ce qu'ils disoient qu'il nous sembloit faire, que par la diuersité de ces Phantômes ou jmages qui se representoient en nôtre esprit, par la
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Vertu de l'jntelligence qui est dans l'animal et dans les autres Êtres qui l'enuironnoient ; lesquélles jmages pouuoient âgir de loin sur lui comme de prés.
Quoiqu'il en soit les Pirroniens, sans aprouuer ou desaprouuer la cause de nos sensations, montrent simplement contre ceux qui pretendent que tout ce que les 9Sens nous representent est veritable ; jls montrent, dis-je, qu'ils nous trompent et qu'il n'y a rien de vrai, mais que ce n'est seulement que des aparences, des Phantomes, et des jmages que les organes nous representent a leur mode.
Jls ont des argumens generaux et particuliers pour prouuer ce qu'ils auan= cent.
L'argument general est : Que suiuant le principe vniuersel de tous les Dogmatistes jl n'y a qu'vne seule et vnique substance,
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qui est le premier principe de toutes choses ; Que cette Substance n'étant ni chaude ni froide en soi, ni lumineuse ni tene= breuse, ni douce ni amere, et en vn mot n'ayant aucune qualité ou proprieté par= ticuliere, mais étant homogene, et d'vne seule Nature, jl s'ensuiuoit que toutes les differentes Sensations quélles produisoit dans nos sens, étoïent des Jllusions et de simples aparences.
L'autre preuue generale consistoit a considerer, que si vne chose étoit chaude ou froide, douce ou amere, agréable ou désagréable, et en vn mot si elle auoit quelque qualité ou proprieté, qui fût veritablement en elle, et dans sa nature particuliere. Cette qualité ou proprieté deuoit paroître, et être la même pour tout le monde, en tous tems, en tous lieux, et en toutes occasions ; mais cela n'étant point, c'est vne marque certaine
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que la chose n'est pas en elle-même ce qui paroît à quelqu'vns, puisqu'elle ne semble pas telle a quelqu'autres : Par consequent ce n'est qu'vne aparence des Sens.
De ces preuues generales ils descendent aux particulieres, parcourant tous les organes des sens, et montrant en combien de maniere ils nous trompent ; Je rapor= terai seulement les principales, d'autant que l'on peut voir tous les sentimens de cette Secte dans Sextus Empiricus, qui [MARGE:] Jmprimé à Amsterdam en 1726 vient d'être nouuellement traduit (et fort bien) en nôtre langue. On peut consulter aussi Diogene Laërce, lequel semble auoir [MARGE:] Dans la Vie de Pirron fait l'abregé des Liures de Sextus Empiricus.
On peut commencer cette preuue de la tromperie des sens par la Veüe, de la maniere suiuante.
Si la couleur étoit quelque chose de veritable, elle deuroit paroître la même
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a tous les yeux, en tout tems et en tout lieu, et en toutes sortes de distances ; or cela n'étant point, il faut dire que la couleur n'est rien en elle-même.
Premierement les couleurs n'affectent point l'oeil, et ne paroissent point a la veüe que moyennant la lumiere : or tout ce qui ne subsiste que par le moyen d'vn autre, n'est rien en soi : Les couleurs ne subsistent que par la Lumiere, donc elles ne sont rien par elles-mêmes. De plus suiuant les diuers degrés de la lumiere les couleurs sont differentes, ainsi le Bleu paroît Verd la nuit a la lumiere d'vne bougie, et les autres couleurs parois= sent differentes de ce qu'elles sont au grand jours. Le col de la Colombe, represente diuerses couleurs, suiuant le plus ou le moins de lumiere qu'il reçoit ; les nüages prennent toutes sortes de couleurs, suiuant qu'ils sont plus rares ou plus
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denses, et suiuant que le soleil les éclaire : On voit l'Jris qui se forme si bien colorée dans les nüées ; toutes lesquélles couleurs changent et se dissipent peu a peu, sui= uant les differentes dispositions des nüées. Les fruits prennent diuerses cou= leurs suiuant leur maturité, et les feüilles sont ou vertes, ou jaunes, ou feüille morte, suiuant les differens tems, et les dispositions de leur superficie. En vn mot on sait que rien n'est si chan= geant que la couleur de tous les corps, de maniere qu'on ne peut pas dire que la couleur qu'on voit en eux soit quel- que chose de réel. Jl faut considerer encore que si l'on regarde au trauers d'vn verre triangulaire, quelque corps que ce soit, l'on voit sur eux la même couleur de l'Jris celeste : ce qui doit faire comprendre que les differentes
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constructions de l'oeil peuuent faire voir et les objets et leurs couleurs differemment. Ainsi ceux qui ont la jaunisse, voyent tout jaune, comme ceux qui regardent les objets a trauers d'vn verre jaune ou rouge, lesquels voyent tout d'vne de ces deux couleurs. De plus si la couleur deuoit être toûjours la même en quelque chose, elle deuroit l'être dans les Metaux : mais on sait qu'étant calcinés au feu ils prennent toutes sortes de couleurs, sans rien perdre de leur nature metal= lique. Ainsi le Plomb qui est noirâtre ; deuient blanc, si on le reduit a petit feu en poudre trés fine, et forme ce qu'on nomme Ceruse : Que si l'on donne ### vn plus grand feu a la même poudre, elle deuient Jaune, et si l'on augmente le feu, elle prend vne couleur fort rouge ; enfin auec vn plus grand feu on la
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fait reuenir Plomb comme elle étoit auparauant. Jl en est de même des autres metaux. Le Cuiure deuient Verd à l'humidité, le fer Roüille rouge : L'or même calciné, et reduit en Email, de Jaune qu'il est, prend la couleur de Pourpre, dont les Orfeures se seruent pour donner la couleur a leurs ouurages.
Si la lumiere est celle qui fait voir les objets, elle empêche au même tems la Vision. Car si l'on regarde trop longtems le Soleil ou la flâme, on est quelque tems sans rien voir, et même on peut perdre tout a fait la veüe. [INTERL:] XX absolument Ainsi on ne peut pas dire XX qu'elle soit l'jnstrument de la Vision : d'autant plus que la matiere de la Lumiere en elle- même n'est point lumineuse, ni chaude non plus, puisque la matiere premiere n'a aucune qualité, et elle ne produit
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cet effet que dans l'oeil seul, et non pas dans le front, ou dans l'oreille, ni en aucun autre organe des sens. La Lumiere donc n'est pas lumineuse en soi : mais c'est la disposition de l'organe qui nous la represente telle ; aussi bien que les differentes couleurs.
Jl y a même des animaux viuans qui sont luisans la nuit, comme quelques vers, qu'on apelle Luisans en France, et certaines mouches en Jtalie ; lesquels étant morts ne luisent plus. Au contraire plusieurs poissons, comme le Harang, le Merlan, les Huîtres, et plusieurs autres, sont fort lumineux dans les tenebres lorsqu'ils sont prêts de pourir. Le bois fait la même chose. Le Diamant même froté vn peu rudement est lumineux dans les tenebres.
Que dira-t'on de tant d'autres manieres dont le sens de la veüe nous trompe.
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Je me vois dans vn miroir, et certainement je n'i suis pas. Suiuant même que les miroirs sont concaues, conuexes, ou oblongs, jls font voir les jmages ou grandes ou petites, ou longues ou courtes. De maniere que les animaux qui ont la prunelles dif= feremment construite, et dissemblable a la nôtre, voyent les objets tout differemment que nous ne les voyons. Dans la superficie plate d'vne toille ou d'vn mur la Peinture me fait voir des éloignemens, et des éleuations qui paroissent sortir au dehors : des portraits qui me trompent jusqu'au point de croire voir ces per= sonnes viuantes, quoiqu'il soit certain que toutes ces choses ne sont pas réelle= ment ainsi.
Cette tromperie des sens ne paroît pas moins dans l'organe de l'oüye. qui est-ce qui poura dire que le son ou le
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bruit soit quelque chose en lui-même ? Qui dira que dans le tremoussement des cordes d'vn jnstrument, ou dans le mou= uement de l'air, jl y ait ce que l'oreille sent, et cette armonie ou ce son, qui tantôt nous attendrit, tantôt nous attriste, ou nous égaye, et qui excite diuerses passions dans nôtre coeur. Certaine= ment ce que je sent n'est ni dans l'jnstrument ni dans l'air, car ni l'vn ni l'autre ne peuuent me donner ce qu'ils n'ont pas.
C'est donc l'organe de l'oüye qui me fait cette jllusion, et lequel me repre= sente et me fait sentir ce qui n'est ni dans l'air ni dans les jnstrumens. Ajoûtés a cela que le même son fait du plaisir a quelqu'vns et de la peine a d'autres. Jl est a croire aussi, comme on l'a dit des yeux, que ceux qui ont l'oreille diffemment construite, ont vn sentiment
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different du son, et qu'ils entendent tout autrement les sons que nous ne les entendons ; c'est ce qui fait qu'vn son plaît a l'vn et déplait a l'autre.
Jl en est de même de l'odorat. Qui dira que ce qui exhale de quelque corps ait en soi cette odeur que je sens, et qu'il y ait dans cette matiere vni= uerselle ces odeurs differentes que nous sentons. Le corps même duquel cette odeur sort, en rend vne bien differente dans vn autre état. Car, par Exemple, le Vin a vne odeur fort differente, lors- [MARGE:] (a) Le Vin sor= tant de la cuue ou du pressoir ; c'est à dire le Vin doux. qu'il est apellé moust,(a) ou vin, ou vinaigre. Les choses que nous mangeons, ont vne fraiches, ou qu'elles commencent à pourir. odeur bien differente lorsqu'elles sont Mais ce qui jmporte c'est que ni tous les hommes ni tous les animaux ne trou= [INTERL:] pareil uent pas le ###### agrément dans la même odeur. Celle-cy déplaît à l'vn,
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et plaît à l'autre. Celui-cy aime l'ambre, ou certaines fleurs. L'autre hait ces odeurs, et leur prefere celle de la Poix ou du soufre. Les cochons, et les chiens mêmes, trouuent vn fumet agreable dans certaines ordures. Le nés de plusieurs autres au contraire abhorre cette odeur : ce qui marque que l'odeur n'est rien en elle-même, sinon vn phantôme de l'jmagination.
Jl faut dire la même chose du Goût, n'étant pas probable que ce que nous sentons, et par le Goût et par l'O= dorat, soit dans les particules mêmes du composé ; car si cela étoit, elles ne changeroient jamais, et ne soufri= roient point d'alteration, mais elle paroîtroient telles en tout tems, et en tous lieux.
Elles paroîtroient aussi les mêmes à
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toutes sortes de personnes sensibles, ce qui n'est assûrement pas. Sans allonger mon discours, on sait combien il est difficile de s'accorder la dessus, de sorte qu'il a été dit, qu'il ne faut pas en disputer. De gustibus non est disputandum. Jl faut donc dire que toutes les sensations vienent, des dispositions differentes de l'organe qui nous fait sentir, ce qui n'est réellement dans la matiere qui le touche, et qui par consequent nous fait croire ce qui n'est pas en effet.
On tient le même argument pour les Qualités Elementaires. Si la chaleur étoit quelque chose en elle-même, elle feroit vn effet [INTERL:] XX et égal semblable XX sur tous les corps sensibles ; c'est a dire que tous la deuroient sentir de même, au même tems et a la [MARGE:] Ce qui n'est pas même distance.
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Que plusieurs choses sont apellées d'vn certain Nom par l'Vsage ; Mais qu'elles ne sont pas telles en elles-mêmes.
Les Pirroniens montrent que les Sens nous font croire que certaines choses sont d'vne certaine maniere, et que nous leur donnons certains noms jmpropres, qui en effet ne leur conuiennent pas.
Par Exemple : on dit qu'vne chose est grande et vne autre petite ; cependant les Pirroniens disent qu'il n'y a ni grand ni petit dans la Nature, mais seu= lement qu'vn corps est dit grand comparé a vn autre plus petit : comme celui-cy qui est petit, comparé à vn autre plus petit deuiendra grand : et le grand deuiendra petit comparé a vn autre plus grand. Ainsi il n'y a ni grand
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ni petit dans la Nature, ou pour mieux dire qui merite vn tel nom. D'autant plus encore qu'vne chose paroît petite de loin, et qu'elle grandit a mesure qu'elle s'aproche, ou que l'on croit en aprocher.
Jl n'y a pas non plus de droite ni de gauche, car ce qui ne subsiste point par soi-même n'est rien. Or la droit n'est apellée, que par vn autre qu'on apelle la gauche : et celle-cy n'est apellée de ce nom, qu'a cause d'vne autre qu'on nomme la droite. Ainsi si vous ôtés la droite, il n'y aura point de gauche, et si vous ôtés la gauche il n'y a plus de droite.
Par la même raison il n'y a point de milieu, car si vous ôtés vn des côtés le milieu cessera de l'être, et il sera ou à droite ou a gauche.
Semblablement il n'y a point
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d'extremité, d'autant que si vous ajoûtés quelque chose a l'extremité, elle cessera de l'être. Ainsi tout ce dont l'Être dépend d'vn autre n'est rien en soi, et on ne peut connoître ce qu'il est. De maniere que le jour-même n'est rien en lui, puisqu'il dépend de la presence du soleil ; comme l'obscurité n'est rien en elle-même, n'étant que la priua= tion de la lumiere.
Jl n'y a rien non plus qui soit beau ou laid en soy.
De même il n'y a rien qui se puisse dire leger ou pesant en soi, puisque ce n'est que par comparaison d'vne chose a vne autre, ou d'vne quantité a vne autre quantité ; ou bien sui= uant les Lieux : car, par Exemple, le Liege est dit pesant dans l'air, et fort leger dans l'eau : c'est donc l'air
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qui rend le Liege pesant, comme l'eau le rend leger. Donc il n'est ni leger ni pesant en lui-même, et nous ne sauons pas ce qu'il seroit hors de ces elemens ; d'autant moins, que tous les corps sont également en repos sur le globe de la terre. De plus vn corps est censé pesant, par comparaison a [INTERL:] XX d'vn égal volume vn autre XX moins pesant, car en le compa= rant auec vn autre de semblable volume plus pesant, il sera nommé leger. Donc en lui-même il n'est ni pesant ni leger, puisque sa dénomination et son être dépend ou du lieu ou il est, ou de la comparaison auec vn autre.
[INTERL:] raison Par la même ##### on ne peut pas dire qu'il y ait rien qui soit veritablement Vîte ou Lent en soi, ni fort ni foible, ni superieur ni jnferieur, ni large ni étroit, ni long ni court, ni subtil
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ni épais, car toutes ces choses et autres semblables ne receuant leur être que par comparaison a vn autre, elles changeront a tout moment de nature. Ainsi le foible deuient fort, comparé a vn autre plus foible ; l'jnferieur deuient superieur, comparé a vne autre chose plus basse, et ainsi du reste.
Jl n'y a aucune chose non plus, disent- ils, qui soit veritablement bonne ou mauuaise en soi. Cela est éuident, en ce que la même chose qui est bonne et salutaire a l'vn, est mauuaise et dangereuse a vn autre ; et ce qui jmporte, c'est que la même chose sera [INTERL:] a vn tel bonne vn jour ########## homme, ou a vn tel animal, et dans vn autre elle sera mauuaise : ce qui vient des differentes constructions des tempera= mens et des organes, ou des dispositions journalieres dans lesquélles on se
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trouue. Les Poissons ne sauroient viure que dans l'eau, et meurent à l'air. Au con= traire les Oiseaux et les autres animaux y meurent en y demeurant seulement quelques minutes. Cependant il y en a ### qui sont jndifferemment et dans l'eau et sur la terre. Pour la nourriture, la Ciguë est mortelle à la plûpart des animaux, néanmoins la Caille s'en engraisse. On guerit le Rossignol de plusieurs maladies en lui faisant manger des Araignées, desquélles le Singe est aussi fort auide et il s'en trouue bien, et cependant elles sont fort dangereuses et même mortelles a la plus grande partie des autres ani= maux. Le Vin même en certaine quantité fortifie et égaye. En plus grande quantité il rend stupide et sans force, et fait perdre de plus la connoissance
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connoissance et la Raison. De même ce qui est vn remede et guerit l'vn, tuë l'autre ; et même il guerit vne fois et fait mal vne autre. Ainsi toutes les choses qu'on dit être bonnes, ne le sont qu'en certaine quantité, en certains tems, et a certaines personnes. Cependant ce qui est veritablement bon en soi, doit l'être en tout tems, en tous lieux, et a toutes sortes de personnes, ce qui n'étant /pas/ point, on ne peut pas dire qu'vne chose soit bonne ou mauuaise en [INTERL:] XX elle-même, XX ###, mais seulement par rapport a vne autre ; et par consequent nous jgnorons sa veritable nature.
Jl en est de même de toutes les choses sensibles, qu'on apelle agreables ou désagreables : Les memes couleurs ne plaisent pas également a tous les yeux. Le même son plaît aux vns
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et déplaît aux autres, et jl y en a même qui n'aiment point le chant et l'harmo= nie. J'en ai vû qui aimoient mieux le son des Cloches, que celui d'vne Viole ou de quelqu'autre jnstrument mélodieux ; d'autres qui veulent le grand bruit, comme la plûpart aiment vne certaine moderation. La Diuersité des goûts est encore plus grande pour les odeurs. L'on sait que quelques odeurs font mal a certaines personnes, et que d'autres ne peuuent en soufrir aucune, ou bien seulement des puantes. La même diuersité se trouue dans les goûts du Palaix, vne chose semblable paroissant trop salée, ou trop acre, ou trop douce aux vns, pendant qu'elles ne le paroît pas assés aux autres : Jl y en a même qui trouuent le Vin amer et qui ne peuuent pas en boire, ce qui est commun
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a ceux qui ont la fieure. Lesquélles diuersités ne peuuent venir que des differentes consti= tutions des Organes, qui nous representent les chose d'vne maniere ou d'vne autre. Jl n'y a donc rien qui soit agréable ou désagreable en soi, puisque s'il étoit tel par nature, il le seroit également a tous, en tous tems, et en tous lieux. Ce qui est d'autant plus vrai, que ce qui nous plaisoit dans vn tems, ne nous plaît plus dans vn autre, et souuent même nous déplait ; comme nous aimons dans vn tems, ce qui nous déplaisoit dans vn autre.? D'ou l'on peut conclure que les choses dont la dénomination et les proprietés dépendent d'vn autre, c'est à dire des dispositions par= ticulieres de celui-cy ou de celui-là, de ces choses, dis-je, leur veritable nature est jnconnuë. C'est pour cela que
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quand quelqu'vn dit, qu'vne chose est douce ou amere, qu'vne chose est grande ou petite, ou que l'on affirme ou que l'on nïe quelque proposition, et que le Pir= ronien répond que cela peut-être, et qu'il reste en suspens, jl ne faut pas croire qu'il ait si grand tort. Car, comme on la dit, la même chose peut être douce à l'vn et amere à l'autre : et le même corps peut petre grand et petit, agréable ou désagréable, sui= uant les raports et les dispositions diffe= rentes des choses, et de ceux qui en jugent.
De tout ceci, et de plusieurs autres choses semblables que j'obmets pour abreger, jls concluoient qu'il n'y auoit rien de vrai, et que tout ce qui nous paroissoit étoit faux, et vne jllusion des Sens. Car, disoient-ils, ou toutes
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choses sont veritables, ou toutes sont fausses : ou bien quelqu'vnes sont verita= bles, et quelqu'autres sont fausses. Or par tout ce que nous auons dit, on peut conclûre qu'il y en a plusieurs qui sont fausses ; n'étant pas vrai, par Exemple, que certaines choses soïent agreables en soi, puisqu'elles sont agréables aux vns et désagréables aux autres. Mais s'il y a seulement quelques choses qui soyent vrayes, et quelqu'autres fausses, comment pourrons-nous les distinguer ? Jl n'y a que deux moyens pour cela, ou par les Sens, ou par le raisonnement : Quant aux Sens nous auons vû qu'ils nous trompent en tout, et qu'ils ne nous découurent pas la verité des choses. Quant au raisonnement et a la Raison on sait, (et je l'ai fait voir fort au long dans quelques Traités particuliers ,) qu'on ne peut pas s'accorder facilement
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sur les choses disputables, et qu'il n'en résulte qu'vne simple opinion, et par consequent l'jncertitude de la Verité : puisque ce qui paroît probable et même éuident à l'vn, ne paroît point probable à l'autre ; et de plus, contraire à l'éuidence.
Cependant on dira qu'il faut s'en raporter, dans les choses disputables, au jugement de quelques personnes, qu'on croit capables d'en juger. Mais on demande quélles sont ces personnes ? /C/### Tout homme qui juge peut être jugé par vn autre, celui-cy par vn autre, et ainsi à l'jnfini. Car chacun a droit de juger : et on ne renonce pas aisement ni a son droit ni a sa propre raison. Quant est-ce d'ailleurs que sur la même chose, lorsqu'on l'examine de prés, on trouue qu'on puisse faire vn jugement si vniuersel, et si vnanime que plusieurs
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n'en disconuiennent pas ? Les vns veulent qu'on s'en tienne au consentement du plus grand nombre. Ce qui est vn discours fort sot : Car ou poura-t'on auoir le jugement de tous les hommes du monde. Quand même on pouroit l'auoir, on ver= roit que chaque nation jugeroit suiuant son propre goût, et qu'elle même ne seroit pas d'accord. Les autres veulent qu'on juge par les Sens, et quelqu'vns rejettent le jugement des sens, voulant qu'on se serue de la seule raison, ou de l'jmagi= nation de ce qu'on aperçoit ; par conse= quent le jugement deuïent jncertain, par toutes ces differentes manieres de [INTERL:] Car juger. ############### non seulement vn homme ne conuient pas toûjours auec le sentiment des autres hommes, mais il ne conuient pas auec lui-même, aprouuant aujourd'hui ce qu'il désaprouuoit hier, et qu'il aprouue ou désaprouue encore /vne autre fois/
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dans la suite. Par toutes ces raisons et plusieurs autres, le jugement est jncertain, et cela fait que nous jgnorons la verité : par consequent il n'y a point de jugement a faire sur les choses, lesquélles restent toûjours dans l'jncer= titude et dans le doute.
On dira qu'il y a des signes, ou des marques par lesquélles on peut connoître la verité. On répond de même, que ces marques ou signes de la verité nous sont jndiqués, ou par les Sens, ou par le raisonnement, ou par l'jmagination. Mais nous venons de voir qu'il n'y a rien de sûr ni de certain dans ce que les Sens, ou la Raison, ou l'jmagination peuuent nous jndiquer. Jl n'y a donc aucun signe, ni aucune marque certaine de la verité.
Par ces argumens, et autres sem= blables qu'on peut voir dans les auteurs
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que j'ai cités au commencement, jls mettoient toutes choses en doute, jusqu'a douter de plus, s'il y auoit dans la Nature vne Cause efficiente, et s'il y auoit vne generation et vne corruption des choses : car se seruant des raisons de Parmenides, de Melissus, et des autres pour mettre en doute qu'il y eût vn mouuement dans le monde, jls pouuoient nier et la Cause efficiente, et la generation et la cor= ruption des Êtres.
Jls mettoient même en doute, s'il y auoit dans la Nature vne substance materielle qui formoit les diuers composés, comme aussi que cette matiere fût vn Être étendu et jmpenetrable. Si l'étenduë materielle, disoient-ils, éxistoit, et qu'elle fût vn être veritable, elle seroit com= posée, ou de points mathematiques, ou de points phisiques jndiuisibles, tels que sont les atômes de Democrite et d'Epicure ;
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ou bien de points diuisibles a l'jnfini, comme Platon, Aristote, les Stoïciens, et leur sequelle l'assûrent. Or l'étenduë materielle ne peut pas être composée de points mathematiques, si l'on veut sup= poser qu'elle soit vn être Réel , et existant ; d'autant qu'on sait bien que les points mathematiques ne sont Rien, et qu'ils n'existent que dans l'jmagination. La matiere ne peut pas être non plus composée de points jndiuisibles, catr tout ce qui a vn milieu et des extremités, jl paroît qu'il peut être diuisé, et cela par pro= gression a l'jnfini, puisque les parties diuisées peuuent encore l'être, ayant des extremités et vn milieu. D'vne autre part il ne paroît pas que ces points puissent être diuisés à l'jnfini, n'étant pas possible qu'vn point fini, contienne des points ou des parties jnfinies. Par ou il paroît que l'étenduë materielle
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que l'on jmagine, ou n'éxiste pas ; ou bien s'il y a quelque substance qui éxiste pour former les Êtres de l'Vniuers, sa Nature ne peut être connuë et elle reste dans l'jncertitude.
Voila vne petite partie des argumens que les Pirroniens font, pour montrer que l'éuidence que les Sens semblent nous donner, est fort trompeuse et jncertaine pour connoître quélle est la nature des choses, et ce qu'elles sont en elles-mêmes.
[INTERL:] quelqu'autres Quant a ce que Parmenides et #### ###### veulent, qu'on se serue de la Raison pour découurir la Verité ; Ratio dirimat discrimina rerum : Jls se moquent de lui et de tous ceux qui qui ont tant dogma= tisé, en éleuant si haut la Raison humaine, jusqu'au point d'apeller l'homme Animal Raisonnable, par l'excellence de sa Raison. Pour montrer qu'on peut douter que l'homme ait
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plus de Raison que les bêtes, ils se liguent contr'eux, auec ceux qui ont auancé qu'il n'y a pas plus de difference entre l'homme et les autres animaux, comme il y en a d'vn Chien à vn Boeuf, ou vn [INTERL:] XX c'est à dire du plus au moins. Lion ; XX Que l'homme agissant par les mêmes principes, et par le même Jnstinct [INTERL:] auancer que les bêtes, on peut fort bien ######## que s'il semble être capable d'vn plus grand nombre d'actions, ce n'est pas à dire pour cela qu'il ait vne autre Raison : car quoique le Chien paroisse plus par= fait que le Limaçon, parce qu'il est capable d'executer des choses que l'autre ne sauroit faire, cependant il n'est pas fait d'vne autre pâte que le Limaçon, et tous les deux, aussi bien que l'homme, sont formés de la même substance et des mêmes principes, et ils ont pour fin de toutes leurs actions, leur propre bien, qui est la Raison
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Vniuerselle de tous les Viuans. Sextus Empiricus và jusqu'a cet excés d'extra= uagance, de vouloir prouuer qu'vn chien a peut être plus de perfection que l'homme. On montre dans la suite, que la Raison humaine prise dans le sens qu'on lui donne communement, n'est pas differente de celle des bêtes, et par consequent elle n'a pas plus de force pour diriger nos actions que les leurs : et que l'on peut dire auec certitude, que les vns et les autres agissons tous également par vn pur Jnstinct de Nature.
On peut voir le reste de cette Doctrine dans les auteurs dont nous auons parlé, afin de connoître plus clairement tous les égaremens de l'esprit de l'homme, ce qui pouroit plus que autre chose faire douter de sa Raison.
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A Monsieur ŠŠ Que l'Ame n'est que sentiment ; Et que l'Homme n'âgit que par les sensations.
Oüi, Monsieur, je le soûtiendrai, l'Homme n'âgit point par Raison, et c'est vne hipotése qui vous paroîtra nouuelle ; mais quoiqu'il en soit je veux le démontrer auec vne éuidence jncontes= table.
Mon opinion est donc que c'est vn vain titre qu'on donne à l'homme, en disant par distinction, qu'il âgit Raison= nablement ; au contraire je veux prouuer qu'il n'âgit seulement que par les sensations, comme aussi que son ame est vne subs= tance qui Sent, (ce qui est oposé au senti= ment de Décartes,) et laquélle âgit
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suiuant les sensations.
Pour vous montrer encore plus éuidem= ment que l'Ame n'est qu'vne substance qui sent, il faut vous souuenir de l'origine que nous lui donnons auec Platon, Aristote, et les autres Academiciens. Je veux dire qu'elle prouient d'vne substance (la pre= miere matiere) qui se meut par elle-même, laquélle sent les mouuemens, et comme elle est mûë.
Mais pour venir à l'examen de ce que j'auance contre l'opinion commune, c'est à dire que la Nature de l'ame est de sentir, et d'âgir par les sensations. Je dirai donc qu'vne Passion ne peut être vaincuë que par vne autre passion, ou par vne autre sensation plus forte . Par Exemple l'Orgüeil de paroître superieur aux autres, peut-être surmonté par la passion de l'Auarice ; celle-cy par l'amour, ou par la volupté de quelque bien sensible ; et enfin la
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passion amoureuse par la crainte plus forte de la depense, ou de se ruiner auec vne belle : c'est pourquoi ceux en qui l'auarice domine sont rarement amoureux. L'homme colerique ne se con= tient, (quelquefois,) que par la sensation de la crainte du mal qui peut lui arriuer, s'il fait éclater sa colere autant que ses sentimens bilieux le demandent. Vn Glouton ou vn Jurogne ne se contient, que lorsque que la crainte des jncommodités que la débauche cause, ou le mépris qu'on aura pour lui étant regardé comme vn jurogne, sera la plus forte des sensations ; car si le plaisir de la bonne chere et du vin est superieur, il se laissera aller à la veüe de ce qui peut contenter les apetits de sa volupté. De maniere qu'on peut conclure : Que la sensation qui est la plus forte dans le moment, l'emporte sur celle qui est plus foible dans le même tems. Je dis qui est plus forte ou plus
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foible dans le moment ; d'autant qu'il y a des momens, dans lesquels il se trouue que la sensation la plus conforme à nôtre plus grand bien est la plus forte, ce qui a fait croire et qui persuade encore aujourd'hui que l'homme âgit par Raison, sur quoi on se trompe en se flatant. Afin qu'il ne reste aucun doute sur ce que j'auance, je vais vous expliquer en deux mots ce que je pense sur ce qu'on apelle Raison, dont on fait tant de bruit, et en quoi elle consiste.
Je crois que vous conuiendrés auec moi, Monsieur, que la Raison ne consiste qu'a faire des actions, lesquélles puissent nous procurer nôtre bien, et même nôtre plus grand bien naturel ; comme aussi d'éuiter le mal, et encore d'auantage le plus grand mal. Mais il faut remarquer que dans ce monde l'homme ne connoît point d'autre bien naturel, que le plaisir que quelque chose lui fait ; et qu'il regarde comme vn mal
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naturel, tout ce qui lui fait peine, ou douleur. De façon que le plaisir ou la peine, sont les deux pôles, sur lesquels roûlent toutes les actions humaines. En effet il n'y a point d'éloquence qui puisse persuader à vn home, que la douleur d'autant que douleur, est vn bien ; et que le plaisir d'autant que simple plaisir, ne soit pas vn bien, mais vn mal. Dieu même ne peut prometre à l'homme d'autres biens, en recompense des [INTERL:] XX l'amour de maux qu'il aura souffert pour XX lui, que des plaisirs éternels dans le Paradis ; ni châtier ceux qui ont transgressé ses ordres, que par des maux et des douleurs eternelles dans les Enfers, priuant encore en même tems ces malheureux de tout le plaisir dont on pouroit joüir en le voyant, et en l'aimant comme ses perfections le meritent.
Etant donc vrai que les biens naturels ne nous sont connus, que par le plaisir que les objets font aux sens ; de même que nous
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ne connoissont les maux, que par la douleur, ou par la peine (qui est vn degré de douleur) que les sens reçoiuent des objest : Que sem= blablement les biens et les maux surnaturels sont ceux qu'on conçoit par le raisonnement que l'ame peut receuoir aprés la mort, [MARGE:] On verra Dieu, on entendra etc. lesquels on se figure être semblables en partie a ceux que nous goûtons par les sens. Jl en résulte que l'ame ne pouuant être mûë, ni mouuoir le corps a faire certaines actions, que pour goûter le plaisir ou füir la douleur ; 1jl en résulte, dis-je, que naturellement parlant l'ame ne peut mouuoir le corps a faire ce qu'on apelle bien, ou pour füir le mal, qu'en consequence des sensations presentes ; parce= que, suiuant St. Augustin, nous sommes contraints de suiure les mouuemens de l'ame, laquélle suit le plaisir comme un bien naturel, et füit la douleur comme vn mal naturel. De plus les objets agreables ou désagreables qui sont presens et sensibles, meuuent d'ordinaire
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l'ame plus fortement que ceux qui sont éloignés. C'est ce qui fait, et c'est proprement la cause qu'on âgit plus frequemment pour obtenir les biens et les plaisirs que les sens trouuent presens, que d'âgir en consequence pour aquerir les surnaturels qui sont éloignés ; a moins que Dieu par sa misericorde jnfinie ne donne à l'ame vne jmage si viue et si forte des plaisirs surnaturels éloignés, qu'alors l'ame remplie de l'esperance des biens éternels, abandonne les plaisirs presens et passagers, pour joüir des biens et des plaisirs futurs que Dieu nous promet dans le Paradis. C'est aussi en quoi le même St. Augustin fait consister la Grace, c'est à dire que Dieu donne à l'ame vne delectation des plaisirs surnaturels si forte, que tous les plaisirs terrestres soyent regardés et méprisés comme jnferieurs et de peu de durée, par consequent peu de chose en comparaison. Laquélle delectation étant purement vne grace de Dieu, qu'il accorde suiuant l'ordre de ses jugemens secrets, ou
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selon les merites de quelqu'vn, c'est pour cela qu'on lui a donné le nom de Grace, qui est vn don et vne faueur particuliere du trés-haut. Je conclus donc de ceci que Dieu ne change pas la Nature qui est son ouurage, mais qu'il se sert des moyens naturels pour conduire ses créatures aux fins qu'il se propose. Ainsi il donne à l'ame vne plus grande sensation jnterieure de volupté, pour la faire âgir en consequence du plus grand plaisir, d'au= tant qu'elle n'âgit que par les sensations, n'étant elle-même que sensation.
Ceci n'est qu'vne courte analise de ce que je veux vous faire voir dans toute son étenduë. Cela passe les bornes ordinaires d'vne Lettre, et demande vne conuersation toute entiere, pour vous persuader non seule= ment de ce que j'auance, mais que je suis trés etc.
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Sur le Sentiment des Animaux contre les Cartesiens.
Le sauant J. D'Armanson a fait vn petit liure, jntitulé La Bête transformée en machine, dans lequel il s'efforce de prouuer deux choses. La premiere que si [MARGE:] Pag. 2. elle est capable de connoissance et de passion, il n'y a point de Dieu. 2. Que si l'ame de la bête est mortelle, la nôtre n'est pas jmortelle. Ce sont là ses paroles. Certainement ces deux propositions font tant d'horreur, je ne dis pas à vn Chrétien, mais a toute personne sensée, qu'on aime mieux accorder l'jnsensibilité des bêtes, sans rien examiner, que de pouuoir mettre aucun doute sur les consequences qu'il en veut tirer ; et ce d'autant plus, que les preuues qu'il en donne sont quasi toutes fondées sur des principes de Religion, laquélle /rend la Philos/ quand elle parle, la Philosophie est muette. Cependant il
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conuient que si l'on admet dans les animaux le moindre degré de connoissance de joye, de tristesse, de haine, d'amour, et de toutes les autres passions qu'on leur attribuë, (ce sont ses paroles) il faut leur accorder vne ame. Or si nous en jugeons par les sens, jl est visible, et on ne peut nier sans douter ##### qu'ils n'ayent toutes les passions que les sensations jnspirent. Ceux qui les croyent ainsi, ne leur accordent qu'vne ame sensitiue, laquélle ne và pas jusqu'a raisonner comme les hommes. C'est pourquoi je croirois que sans blesser la Religion, et sans nier Dieu et l'jmmortalité de l'ame, on peut leur accorder la prérogatiue de sentir ce qui leur est bon, à quoi se ter= minent toutes les facultés de leur ame sensitiue.
Je crois qu'on peut suiure cette opinion en sûreté de Conscience, puisque le Saint Concile de Trente, n'a pas ôté aux animaux le sentiment ; mais il a bien
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donné à l'homme vne autre ame plus parfaite que Dieu crèe exprés pour lui dans le tems de sa generation : Car l'ame des bêtes tire son origine de la matiere premiere, que les Academiciens ont crû qui se meût, et sent quélle se meût et la maniere dont elle est mûë. L'ame de l'homme peut raisonner, et par les choses sensibles s'éleuer a la connoissance de son créateur, aussi bien qu'à celle de l'jmmortalité de cette ame même, choses à quoi les animaux ne peuuent éleuer leurs sens, a quoi se terminent leurs connoissances, lesquélles ne vont pas plus loin qu'a ce qui regarde leur bien et leur mal, et de connoître l'objet auec lequel ils peuuent multiplier leur espece, étant éuident qu'on ne peut pas leur dénier cette connoissance, ayant sur ce point plus de raison que plusieurs hommes abominables.
Jl est vrai aussi que cet auteur tâche de montrer sur la fin de son second discours,
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comme le mouuement du sang et les esprits animaux étant mûs de certaine maniere, les bêtes font certains mouuemens couena= bles à la machine. Mais il est a craindre, comme disoit le grand Prince de Condé, que par ces démonstrations, qui font éga= lement mouuoir /l'homme/ le corps humain, lequel n'agit que par les mouuemens du sang et des esprits animaux (quand la Raison ne les arrête pas,) l'on n'aproche trop l'homme de l'animal, au lieu de l'en éloigner.
Je conuiens que les objets presens peu= uent mouuoir, et meuuent en effet, non seu= lement l'animal, mais l'homme aussi, leur jnspirant certains apetits, en conformité desquels ils se meuuent et ils agissent. Cependant il est difficile de persuader, que quand vn animal âgit pour vne fin éloignée et sans objet present, il n'est pas facile, dis-je, de faire croire qu'il âgit sans connoissance, comme quand l'araignée fait sa toile pour prendre la mouche,
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et qu'elle se tient cachée pour l'attendre et pour s'en emparer ; ou que quelques autres animaux font leurs provision come la fourmie, l'abeille, et plusieurs autres animaux pour passer leur hiuer, obseruant certaine oeconomie et police conuenable a leur bien-être. Jl n'y a point d'objet present qui meuue l'araignée, ni la fourmie, ni l'abeille, et il est difficile de croire que tout se fasse aueuglement et sans connoissance.
Que si l'on dit que c'est par un Jnstinct, que le souuerain a donné à cet animal. Outre que j'ai tâché de faire voir en vn Traité particulier, en quoi consiste l'Jnstinct. Je demande pourquoi le sou= uerain Ouurier n'a pû donner vne ame materielle et sensible aux bêtes come il a pû donner à l'homme vne autre espece d'ame, jmmaterielle et raisonnante. Je ne vois pas pourquoi sur la foy de Décartes, on veut mettre des termes a la puissance et à la Sagesse Diuine, et qu'en
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donnant vn sentiment et des connoissances terminées aux bêtes, on veüille que cette croyance soit contraire a l'existence de Dieu, qui n'en est, a mon auis, que plus grand et plus sage, d'auoir pû et sû faire cette difference entre les bêtes et les hommes.
Quant a moi je crois que les animaux sentent, qu'ils ont quelque connoissance limitée de leur état, aussi bien que de ce qui leur est bon ou mauuais. Je ne vois pas que cette opinion me porte a méconnoître Dieu, au contraire, je suis porté a admirer de plus en plus sa sagesse et sa puissance, et je suis persuadé que ceux qui seront de mon sentiment n'en seront pas moins Catholiques, ni moins Orthodoxes. C'est pourquoi, si je tache de rendre aux bêtes ce que Décartes et ses sectateurs leur ont ôté, et que Dieu leur a donné, je ne crains pas que les gens raisonnables me taxent la dessus. D'autant plus que la Religion
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Chrêtienne n'a pas besoin de mensonges manifestes pour prouuer ses verités, des- quélles on pouroit douter, si on le vouloit apuyer de ce qui est faux.
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De la Vraïe et Fausse Gloire
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De la vraïe et de la fausse Gloire.
Avant-Propos.
L'Homme est vn animal naturellement glorïeux, c'est pourquoi il n'est pas étonnant qu'il aspire a la gloire. Jl aspire a la domination, ou du moins a n'être pas dominé, ainsi il n'est pas merueilleux qu'il répugne a être soûmis. C'est sa propre méchanceté qui la contraint a la soûmi= sion, et il s'est forgé lui-même des chaînes, par les Loix qu'il s'est jmposé, ne se croyant pas assés fort pour resister a tous les autres qui aspiroient comme lui a dominer. Tous cherchent donc autant qu'ils peuuent la superiorité, et cependant il faut être soûmis pour éuiter d'être tout a fait esclave des plus forts. Mais si le particulier ne peut pas auoir la domination
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sur tous, jl veut dominer au moins dans sa maison, sur sa femme, sur ses enfans, sur ses domestiques, et s'il ne peut pas l'auoir au dehors autant qu'il souhaite, jl affecte, autant qu'il lui est possible, l'estime et la gloire d'être distingué du commun des hommes.
Pour paruenir a cette fin chacun s'y prend comme il peut, et chacun y employe les talens que la Nature, ou la fortune lui ont donnés. Ceux a qui la naissance donne des Titres jllusoires, pre= tendent d'être estimés par cet endroit. Quel= qu'vns font leurs efforts pour auoir vn Cordon, ou Bleu ou Rouge, qui les fasse respecter. D'autres trauaillent pour paroître auoir des esprits plus lumineux et plus sauans que les autres. En vn mot chacun aspire, comme il peut, a la gloire et a la superiorité.
Mais je vois peu de personnes, si je
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ne me trompe, qui employent les vrais moyens pour aquerir la veritable gloire ; et ceux qui en ont de trés faciles, jl me semble qu'ils ont recours a ceux qui sont extraordinaires, lesquels leur attirent, au lieu de la vraye gloire, de la honte et du mépris.
C'est pourquoi j'ai resolu d'examiner les moyens les plus propres, pour paruenir a la gloire que nous affectons tous auec tant d'ardeur. Afin que ce discours soit plus clair, en parlant des moyens qui donnent l'honneur et la veritable estime, je raporterai en même tems ceux qui leur sont contraires. Ce qui poura empecher de se tromper (je le souhaite) ceux qui se dérangent du chemin qui mêne a la veritable gloire ; et les engager par la à suiure la voye droite, qui conduit a l'estime des particuliers et du Public en general.
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Pour peu qu'on y prenne garde, et qu'on ne marche pas auec les yeux fermés, ou attentifs a d'autres objets, on poura facilement reconnoître le droit chemin. Jl nous est marqué par les Loix qui font l'honnête homme, que tous ceux qui ont eû quelque Education, ou frequenté le monde ont apris.
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De la Vraïe et de la fausse Gloire.
La premiere Loy de l'honneur, est celle que la situation des choses nous prescrit ; Je veux dire qu'étant nés pour être sujets, jl faut s'accomoder a cette situations . La vraye gloire donc consiste a être bon Citoyen. Le bon Citoyen est celui qui cherche, autant qu'il lui est possible, le bien de la Societé et de la patrie ou il demeure. Si sa fortune est obscure, il suffit de ne rien faire qui trouble la paix et la tranqüillité publique, d'être soûmis aux Lois de sa nation ; et d'assister suiuant son pouuoir les particuliers qui ont besoin de lui. S'exposer même, s'il le faut, pour la deffence de ceux qu'on veut oprimer, et auxquels il peut donner quelque secours conuenable. Le bon Citoyen est celui qui reuere son Prince, ou du moins qui ne fait pas pro= fession publique de le haïr, et de lui nuire.
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Par ces moyens il s'attire l'estime et l'amour des Citoyens et du Prince, et il se fait vn chemin sûr aux charges et aux emplois.
La fausse est celle de chercher (par vn excés de folie) la gloire ou elle n'est pas. Cest à dire par des chemins détournés, et par lesquels il est quasi jmpossible de la trouuer, et a la place de la quélle on trouue la perte de l'honneur, des biens, et souuent même de la vie. Tels sont ceux, qui, pour faire fortune, cherchent ### a se rendre odieux soit au Prince ou à la Patrie, en causant des reuoltes et des troubles, se faisant Chefs de partis, et autres choses semblables, dans lesquélles difficilement on peut reussir, d'autant que l'on ne peut pas executer ses desseins tout seul, et qu'il faut confier son secret a d'autres, dans la compagnie dequels, par la même raison de faire fortune, jl y en a toûjours quelqu'vn qui prend le chemin le plus
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court et le plus sûr, qui est de reueler au Prince, ou aux Magistrats, les desseins qu'on a. D'ailleurs soit par des discours, ou par des manieres, on se rend suspect, et on donne lieu aux Superieurs de veiller sur vôtre conduite, et même de vous faire donner dans les pieges qu'on vous tend Comme cela est dangereux, chacun doit y prendre grande , et ceux qui ont beaucoup a perdre, doiuent se detourner le moins de la vraye gloire et du chemin le plus sûr qui nous mêne à elle, lequel est de s'attacher le plus qu'on peut au Prince, et de seruir l'Etat du mieux qu'il est possible.
La Foy est vn Don de Dieu. Si l'on ne croit pas, il faut au moins faire semblant de ne pas mépriser la Religion qu'on pro= fesse dans vn païs. En voici la raison : c'est que la Religion bien entenduë a pour fin de rendre l'homme vertueux ; et elle est donnée et cultiuée pour mettre, s'il est possible, quelque frein aux passions dereglées
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et vicieuses. Car les Preceptes que la Religion prescrit et consacre, sont ceux-là mêmes que la Societé éxige de l'honnête homme ; c'est a dire de n'être point jnjuste, de ne point prendre le bien d'autrui, payer ce qu'on doit, ne point peruertir les femmes d'autrui, ne point deshonnorer personne, ou mettre du trouble dans les familles, n'être point menteur, Jurogne, blasphema= teur, escroc etc. ; mais fidel , charitable, ami cordial, genereux enuers ceux qui meritent quelqu'assistance, et en vn mot ne faire mal a personne dans la vie, les biens, et l'honneur, qui sont les trois biens naturels dont on fait cas. C'est la fin principale de la Religion, et celui-là est veritablement Religieux, et vrayement honnête homme, qui suit ces Regles.
Je conuiens donc que la Religion ne consiste pas proprement dans le Culte exte= rieur : mais il ne faut pas non plus le [INTERL:] XX que l'on voit, mepriser, d'autant que ce Culte exterieur XX
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fait juger de l'jnterieur, qu'on ne voit pas toûjours. L'on en tire même vne consequence naturelle, que celui qui méprise la Religion, méprise ses preceptes, et par consequent la Vertu. Je ne dis pas qu'on ne puisse être vertueux sans croire, mais qu'on donne lieu de le penser. D'ailleurs les hommes qui sont soûmis a ce que la Religion enseigne, croyent qu'on les jnsulte et qu'on les regarde comme des sots, lorsqu'ils pratiquent ce Culte qui est ordonné ; ce qui les jrrite et les porte a se vanger par vn mépris outrageant, en vous décriant par tout comme vn scelerat et vn jmpie. Jl faut de la circonspection dans le public, et plus particulierement auec ceux qui croyent l'opinion que la Religion ordonne. Si l'on en a vne autre, on peut se relacher vn peu ; Plûtôt comme [INTERL:] XX et par complaisance, XX en doutant qu'en assû= rant. Le Scrupule choque les Jmpies, comme l'jmpieté les Deuots : Jl faut être vn Protée en fait de Religion. C'est donc vne
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[MARGE:] En brauant la deuotion publique On s'attire le nom d'jncredule et par consequent qui n'a ni Foi ni Loy, come l'on dit fausse gloire que de faire profession publique de ne rien croire et de mepriser la Religion ? Qu'en coûte t'il, si l'on a quelque penchant aux vices, si ce n'est de se taire et de les cacher ? Que coute t'il encore de faire quelques actions de Culte exterieur, comme d'aller a la Messe, et d'auoir du Poisson sur sa Table les jours maigres, reprimer la colere, les juremens etc. et si la foiblesse humaine entraîne a la volupté charnelle, jl faut plûtôt cacher ce foible que d'en faire parade. Ces choses ne sont pas difficiles quand on aspire a la vraye gloire, ou que du moins l'on füit le blâme. On peut manger gras sans marquer de mépris pour la Loy : et comme la Messe est vne action publique, et qui ne dure pas demie-heure, l'on fait bien de paroître modeste et attentif au Sacrifice.
Rien n'est donc si mal, que de ne se pas faire voir dans les Eglises ; mais
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encore plus mal de s'y faire voir auec cet air de mépris des autels que plusieurs /par/ affectent, comme s'ils brauoient la Diuinité, que les autres croyent. C'est jnsulter publiquement la deuotion de tous les assis= tans, et au lieu de la gloire qu'on croit aquerir par ces actions de mépris de la Religion, l'on aquiert la haine publique, et on vous publie par tout comme si vous étiés vn scelerat.
La vraye gloire consiste donc dans vn honnête milieu, de ne pas affecter l'hipo= crite, ni de mépriser le credule ; mais comme dit Tacite, de tenir un état moderé, en n'affectant pas de brauer les Dieux, ni d'affecter vne deuotion outrée.
Aprés auoir vû ce qu'on doit à Dieu, au Prince, et à la Patrie, il est bon de voir ce que l'on se doit a soi-même.
Jl y a des gens qui mettent leur gloire à auoir peu de soin de leur
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bien, et d'autres qui font gloire de le dissiper, sans autre consideration que celle de satis= faire les passions presentes. Mais la vraye gloire consiste a conseruer d'vne certaine maniere le bien que la fortune ou vne loüable jndustrie leur a donné. Jl est [INTERL:] XX soin de glorieux a un homme d'auoir XX son bien, de voir ce qu'il faut faire pour le conseruer, et même, s'il est possible, de chercher a l'aug= menter par de bonnes voyes. Car celui qui n'augmente pas son bien, il le trouue a la fin diminüé par vne jnfinité d'acci= dens qui arriuent dans la vie. Le plus sûr et le plus glorieux moyen, et qui donne la reputation d'vn homme sage, consiste a mesurer /combien/ la depense qu'on peut faire, auec le bien qu'on a. Je crois qu'il faut partager son reuenu en trois parties. On en peut mettre la moitié dans la depense necessaire et conuenable a son état, en comptant la Table, les domestiques, l'Ecurie, ses habits et ceux
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de son domestique, leurs gages, Loïers de maison etc. Pour l'autre moitié il la faut encore diuiser en deux autres. L'vne pour l'employer aux plaisirs courants. L'autre la garder soigneusement en reserue pour les dépenses d'honneur, de voyages, et autres semblables qui arriuent assés #### souuent, aussi bien que certains acci= dens jmpréuûs ou de maladies, ou de malheurs, contre lesquels l'argent comptant est vn grand rempart. Outre la gloire et l'estime qu'on aquiert par cette conduite sage, (et d'être regardé comme vn foû et vn étourdi en faisant autrement,) jl en reuient encore plusieurs grandes vtilités. La premiere c'est qu'ayant toûjours l'argent a la main, on aura au moins vn tiers de bon marché en tout ce qu'on achepte . La seconde qu'on aura toûjours le meilleur ; car ce qu'vn marchand n'a pas, l'autre le donne ; et chacun fait ses efforts
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pour s'attirer vne si bonne pate. 3°. On sera [MARGE:] La Table toûjours bien servis ; d'autant que ne prenant point a credit, jl n'y a point d'excuse a ceux qui acheptent, d'être obligés de prendre ce qu'on peut, ou qu'on a pû trouuer. 4°. Le Domestique sera toûjours excellent étant bien payé. 5°. On n'aura pas le chagrin honteux d'auoir des Créanciers a sa porte, ou de leur faire cession de ses biens, et viure de ce qu'ils voudront bien laisser joüir. 6°. Se trouuant toûjours en argent comptant, on poura toûjours faire et se satisfaire en tout ce que l'on voudra. Prenant néanmoins bien garde de ne jamais toucher a ce quart, qu'on a dit reseruer pour les besoins jmportans. Accumuler tous les ans vn quart nouueau, d'autant que le trop d'argent ne nuit pas, et qu'on peut en tout cas l'employer a quelque aquisition vtile, dont on poura disposer en vne occasion comme si c'étoit
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de l'argent comptant. Car le 7°. auantage qu'on tirera de cette conduite, qui fait meriter le nom de sage, c'est que dans vne occasion on trouuera à emprunter sur ce bien ######## de même que sur les autres, non seulement sa valeur, mais encore d'auantage, sans auoir recours aux vsuriers dont l'on ne sait que trop quelles sont les extorsions ruineuses. Le 8°. auantage est enfin la gloire qu'on en tire, en ce que tout le monde chante les Loüanges d'vn tel homme, et on regardera sa maison comme vne maison bien reglée. Celui qui la regle ne sera pas regardé comme vn foû, mais comme vn homme sage et prudent dans ses actions, lequel se [INTERL:] XX conuient conduit comme il XX à vn homme raison= nable, et non pas comme vne tête sans ceruelle. Par ce moyen son reuenu aug= mentera en dépensant moins, et en joüissant d'vne plus grande abondance, et tout meil= leur, par les raisons qu'on a dit. De plus
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ayant toûjours de l'argent comptant, non seulement il poura en employer quelque peu en liberalités, qui lui aporteront de l'honneur et de la gloire : mais il aura l'esprit en repos, ayant vne cuirasse d'or pour se defendre contre les coups jnopinés de la fortune.
Quand même on trouueroit bonnes ces verités jncontestables, et qu'on se mît en état de les pratiquer exactement a la Lettre. Elles seront toûjours renuersées en vn jnstant, si l'on pretend joüer. Jl y a des personnes qui croyent qu'il est glorieux qu'on dise qu'vn tel a perdu de grosses sommes : Quant a moi je crois qu'il est plus glorieux que l'on dise qu'il les a gagnées. Je dis mieux, en disant qu'il est glorieux qu'vn homme riche fasse connoître et publie, qu'il n'a pas besoin de gagner, mais seulement qu'il a besoin de ne pas perdre beaucoup. Jl y a trois sortes de gens dans les jeux.
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Les premiers sont ceux qui sont maitres du jeu, lesquels joüent de sang froid et seulement pour gagner : Jls ont l'art de se posseder, en se retirant dans le malheur auec peu de perte, et de gagner beaucoup dans la fortune. Ceux-cy rodent comme les Eperuiers pour griper les tendres oiseaux. Jls sauent qui sont ceux qui ne se possedent point, et qui joüent noblement. Jl y en a d'vne seconde espece qui joüent pour l'auidité du gain, qui joüent même assés bien, mais qui ne se possedent pas dans le malheur. Jl y a vne troisiéme espece, laquélle est la dupe de tous, et particulierement de joüer, (car c'est vn des plus grands arts,) jls joüent pour se diuertir, parcequ'ils aiment le jeu : Ces personnes peuuent bien gagner quelquefois, mais il faut a la longue qu'elles soyent la proye des autres ; et ce qui a [INTERL:] XX c'est ### vn pur malheur est de pis, c'est que ces gens se persuadent que XX lorsqu'ils perdent, parcequ'ils ont gagné
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quelquefois. Je le repete, le jeu est vn mêtier et vn art des plus difficiles, car non seulement il faut sauoir trés bien ce mêtier, mais le fin de l'art consiste a se posseder de maniere, que l'on sache distinguer quand la fortune nous rit, et alors la pousser a propos, et distinguer quand elle nous est contraire, pour nous retenir et ne rien hazarder ; enfin de sauoir se retirer également auec le gain, et ne point pousser la perte par l'esperance de se raquiter. En vn mot rien n'est si difficile que le mêtier du jeu, car non seulement il le faut bein sauoir, mais il faut sauoir se rendre maitre de la fortune, en la conduisant suiuant ses caprices, et en même tems suiuant nôtre volonté.
Le plus sûr est pourtant quand on a du bien de ne le point abandonner au gré de la fortune, car le plus adroit et
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le plus sage, peut manquer vn jour de sagesse, et se ruiner. Comme les Exemples sont jnfinis, cela n'a pas besoin de preuue ; d'autant plus qu'il ny a guere de personnes qui n'en ayent fait quelqu'expe= rience, et qui ne connoissent les embaras dans lesquels le jeu peut nous jetter. La plus grande sûreté est de füir les lieux ou l'on joüe gros jeu, car l'apetit est souuent excité par la veüe des viandes, quoiqu'on n'ait pas de faim. [INTERL:] XX absolument
Je ne pretend pas XX #### qu'vn homme du monde ne joüe jamais, jl faut bien viure auec les autres, dont la plus grande partie ne sauent que dire ni que faire, si ce n'est de joüer. Mais, comme je l'ai dit, il faut euiter les endroits ou l'on joüe gros jeu, et joüer seulement auec les personnes qui joüent par vne espece de commerce, qui est aujourdhui
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ainsi établi dans le monde. L'on perd quel- quefois, on gagne dans d'autres, et a la fin de l'année la perte ou le gain est mediocre. Ce mediocre se doit toûjours prendre sur la portion des plaisirs courans, sans jamais toucher a cette portion destinées pour les grands éuenemens laquélle doit être sacrée.
J'auoüe qu'il faut se contenir vn peu, et ne pas donner carriere a la passion ; mais la réflexion des jnconueniens dans lesquels le jeu nous mêne, peuuent quelquefois déterminer la raison de nôtre plus grand bien. En faisant au surplus attention que ce n'est pas vne gloire de perdre son bien, mais que c'en est vne grande de le conseruer, et de se tenir, par ce moyen, dans l'état heureux de n'auoir pas besoin des autres hommes, et que
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ceux-cy au contraire ayent plûtôt besoin de nous.
Rien ne donne plus de gloire que la Liberalité ; mais il faut bien comprendre ce que c'est que d'être liberal. Celui qui depense dans la vanité d'auoir vne bonne table et bien seruie, qui étalle le faste des équipages et des Liurées, qui depense beaucoup auec les femmes et auec ceux qui seruent ses débauches, qui se pare auec des habits magnifiques et qui fait voir des meubles et des tapisseries superbes ; celui-là, dis je, peut bien s'apeller voluptueux, d'autant qu'il n'épargne rien pour sa propre volupté : jl peut s'apeller encore fas= tueux et vain, d'autant qu'il veut paroître par la pompe de ses habits, de ses Liurées, et de ses équipages. Mais veritablement Liberal est celui
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qui paye ce qu'il dit sans qu'on le lui demande. Liberal est celui a qui on ne sauroit faire le moindre plaisir, qu'il n'en donne des marques de reconnoissance par quelque petit don. Liberal est celui qui faisant cas de la vertu, et des bonnes qualités ou il les trouue, leur donne des marques de son estime par des secours conuenables. Liberal est celui qui se seruant de quelqu'ouurier excellent, et qui le sert bien dans son art, non- seulement lui paye ce qu'il a promis, mais qui lui donne aussi quelque marque d'estime par vne petite grati= fication. Liberal est celui qui cherche son ami et l'honnête homme, et qui lui donne quelque secours s'il en a besoin. Liberal est celui qui s'jnforme si tout le monde est content satis= fait dedant et dehors la maison. En
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En vn mot la vraye Liberalité consiste a recompenser la vertu, et non pas la débauche. Ces personnes vers lesquélles j'ai dit qu'on doit vser de Liberalité, sont autant de trompetes qui chantent ses loüanges, et la vraye gloire qu'il aquiert par ces moyens. Le reste n'est que vanité.
La vraye gloire consiste a se couurir de vertus, et a se faire estimer par ses qualités personnelles. L'honneur doit être le premier mobile de nos actions, et l'homme noble doit soûtenir sa qualité sans jnsolence.
La fausse gloire consiste a se parer d'habits magnifiques ; estime qui ne passe pas au dela de l'étoffe.
Quélle difference de voir vn homme estimable habillé proprement, mais sans parure et sans affectation, lequel
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s'attire la veneration d'vn chacun par ses qualités personnelles, et de celui qui n'attire que les yeux et non pas l'estime par la magnificence de sa parure. Jl a beau se donner la torture pour se faire distinguer, si l'jnterieur n'y repond pas, on dira toûjours de lui : Vn âne chargé d'or ne laisse pas que de braire ; c'est à dire d'être toû= jours vne bête.
La vraye gloire est d'être estimé, comme on la dit, parcequ'on en est digne, et que cette estime nous fait honneur.
La fausse gloire est celle qu'on s'attire par les carosses, les Liurées etc. On admire et on estime ces Liurées et ces carosses ; mais on estime peu celui a qui cela apartient, on le regarde au contraire comme vn foû.
Ce n'est pas vne gloire que de vanter
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la noblesse et le rang que donne la naissance, c'est declarer l'obligation que l'on a d'être meilleur et plus vertueux que les autres. Les ayeux qui ont aquis vn nom dans l'Etat par leur merite, ne font pas le nôtre si nous ne les jmitons. Que sert d'être sorti d'vn sang illustre, si on le deshonnore. Se vanter de noblesse, c'est vne fausse gloire, a moins que le public ne nous declare noble par nos actions.
La naissance ne donne pas le droit d'être jnsolent, piquant et jmperieux. Elle doit enseigner au contraire a être plus humains, et a auoir plus de douceur auec tout le monde. Les hommes doi= uent être plus humains que les bêtes, et le noble éleué au dessus des autres hommes, le doit être aussi par l'humanité et par la douceur. C'est vne fausse gloire que ces airs d'jmpatience, de
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hauteur et de brutalité, lesquels conuien= [MARGE : J'entens les paysans, domestiques, etc. [INTERL:] XX animaux et au comun des nent XX aux ####### hommes qui aprochent le plus de leur nature.
En un mot la politesse, la douceur, et l'humanité font vne partie de la gloire de l'homme de qualité. La fausse consiste a se faire disitnguer par la brutalité, par l'jnsolence, et par la cruauté.
La vraye gloire d'vn homme de nais= sance consiste a sauoir beaucoup de choses, et d'exceller en quelqu'vne qui nous distingue. Jl faut que celui qui est né auec beaucoup de commodité pour le faire sache toutes choses, afin de se rendre different des hommes ordinaires de qui il veut se distinguer, car c'est le sauoir qui nous distingue. Frequenter les sauans, les attirer dans sa maison, assaisonner les repas et la conuersation par des entretiens spirituels, c'étoit la
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maniere de viure des héros Romains et des grands Capitaines, comme Cesar, Pompée, Scipion, Lucullus etc. aussi bien que des Senateurs et autres grands, comme Ciceron, Brutus, Cassius, Marc-Antoine, Hortentius, Varron etc. La conuersation des hommes sauans, ou de ceux qui excellent en quelqu'art, jnstruisent mieux et plus facilement que les Liures. Le sauoir n'empêche pas la volupté ; mais elle l'excuse et la rend honnête, donnant à l'homme ce qui lui apartient, qui est la science, et à l'ani= mal ce qui est de l'animal. La fausse gloire de certains hommes consiste a se vanter, et a se faire honneur d'être plus voluptueux, plus lascif, et plus grand bûueur que les autres. Cesar et Alcibiade étoïent les plus voluptueux hommes de leur tems, mais en faisant des grandes actions on a pardonné a leurs vices. On
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a regardé leurs deffauts comme des foiblesses humaines, et leurs vertus comme étant au dessus du commun des hommes.
La beauté, la parure de la personne, et celle des chambres, sont des choses qui conuiennent aux femmes, lesquélles n'ont pas d'ordinaire d'autre moyen pour se faire estimer. Mais on ne le pardonne pas aux hommes qui peuuent, et qui doiuent auoir d'autres qualités pour se faire estimer.
La vraye gloire est de se faire [INTERL:] XX nobles, et respecter par des manieres XX ####### par ############################## l'amour de ceux auec lesquels nous frequentons. Il faut en les /aimant/ res= pectant, en les aimant, et en les seruant, leur montrer comme il faut aimer et respecter vn bienfaiteur. La fausse gloire est de se faire respecter par des
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airs de hauteur, de fierté, et des manieres farouches, qui aliennent les esprits, et vous font haïr et füir.
La vraye gloire consiste à fréquenter des gens au dessus de nous, et des personnes qui nous honorent par leurs vertus ; et l'on sera estimé du public même en nous declarant jnferieurs. La fausse gloire est de viure auec de la canaille, sur [INTERL:] laquélle /lesquels/ nous puissons auoir quelque superiorité, et auec des gens méprisés du public.
Comme les femmes font plus de la moitié du monde. La vraye gloire consiste a leur plaire. Jl faut affecter quelque modestie dans le public, et marquer qu'on les estime toutes et le sexe en general. Jl faut s'entretenir [INTERL:] en general auec elles XX d'vne maniere gracieuse, et s'exprimer par des regards auec celles qui plaisent le plus. Mais il faut que
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l'estime, et la politesse se repande sur toutes, et que toutes soyent contentes de nous.
La vraye gloire c'est de joüir d'elles sans le faire connoître. La fausse gloire est de les brutaliser comme superieur, se donner des airs jmportans, et de tirer vanité par son jndiscretion de leurs faueurs amoureuses.
Enfin pour paruenir a la veritable gloire il faut vn peu d'art, et cet art demande de l'esprit et du sauoir. L'esprit consiste a pouuoir connoître auec qui l'on vit, pour s'accomoder auec tout le monde. Jl faut que l'esprit et le sauoir soit vni= uersel, et on l'aquiert, comme on l'a dit, en frequen tant toutes sortes de sauans. Jl faut donc auoir de l'esprit et du sauoir, pour raisonner de tout auec tout le monde ; c'est a dire parler auec vn chacun de ce qui est de sa connoissance.
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De Politique auec les politiques, de belles Lettres auec les Lettrés, de Philosophie auec les philosophes etc. Et s'ils sont moins sauans que vous, les ramêner a vos sentimens par des principes connus et qu'on ne puisse pas désauoüer, ou en faisant valoir leurs raisons par d'autres dont ils ne s'étoïent pas auisés. Jl n'y a rien qui flate tant celui auec qui vous étes en conuersation, que de trouuer vn homme qu'il croit être de son sentiment, et qui aprouue ce qu'il dit au lieu de le contrarier. La fausse gloire est d'être contrariant, et de disputer des choses qu'on ne sait pas ou bien mediocrement. Jl faut toûjours montrer de la soûmisson et de l'estime pour ceux qui excellent en quelqu'Art, quand même vous les verriés manifes= tement dans l'erreur. En un mot la fausse gloire est presomptueuse et
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jnsolente, la vraye gloire est humble, douce et fondée en vrai Sauoir.
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Traité De l'Ame, Et De ce qu'elle deuient aprés la mort.
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De l'Ame, et de ce qu'elle deuient aprés la mort.
Si l'on pouuoit connoître la nature de l'ame, et quélle est sa substance, peut-être qu'il ne seroit pas jmpossible de déterminer ce qu'elle deuient aprés la mort. Mais par malheur nous sommes bâtis de façon que nous ne pouuons connoître que par les Sens ; et comme l'ame n'est pas soûmise aux sens, jl en arriue qu'on ne peut la connoître, que par les effets qu'elle produit. C'est ce qui a fait dire à Heraclite, aprés de longues reflexions sur la nature de l'ame, que quand on mediteroit toute la vie pour la connoître, ce seroit vne occupation jnnutile et sans fruit.
La plus grande partie des philosophes, comme Thales, Pitagore, Platon, et
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plusieurs autres qui en ont voulû dire quelque chose, l'ont définie vne substance qui se meut d'elle-même et par consequent toû= jours, ayant égard a ce qu'elle fait mou= uoir le corps auquel elle est vnie ; et qu'en étant separée, le corps reste jmmo= bile. Sans raporter les sentimens de ceux qui ont dit, que c'étoit vn assemblage pro= portionné des Elemens, et autres opinions ; sans citer ces sentimens, dis-je, on peut auancer, que non seulement elle fait mouuoir les corps, mais qu'elle les fait vegeter et croître, et de plus sentir. C'est pourquoi Straton a dit, que l'ame n'est autre chose que le sentiment ; d'autant que les corps morts n'ont point de senti= ment, non plus que de mouuement. Ce qu'il y a de plus, (ce qui fait la difficulté de connoître la nature de l'ame,) c'est qu'elle ne sent point sans les organes
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conuenables à certaines sensations, qu'on a reduites a cinq ; c'est à dire la veües, l'oüye, l'odorât, le Goût, et le Tacte. Quoique néanmoins toutes les sensations se fassent par quelque mouuement et par quelque tacte des esprits qui sont dans l'organe, et c'est de cet attouchement que résulte le sentiment : La Lumiere agitant les esprits de l'oeil, l'air ceux de l'oreille, les vapeurs des corps odoriferans ceux des narines, les corpuscules des viandes ou des liqueurs ceux de la Langue et du palaix ; et les corps plus grossiers ceux de la peau. Cependant Epicure met encore le sentiment de la faim et de la soif, qui consiste dans les humeurs qui piquotent le ventricule, ou le gozier. Sans parler du sentiment de la volupté charnelle, lequel consiste dans la friction des
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organes, ou de l'organe de la generation. Mais comme jl y a quelque mouuement dans toutes les sensations, cela a porté Platon a dire aprés les autres, que l'ame est vne substance qui se meut d'elle-même et qui sent qu'elle se meut : a quoi j'ajoûterois volontiers, pour éclaircir d'a= uantage cette matiere, qu'elle sent aussi les diuerses manieres dont elle se meut, et dont elle mûë , ce qui fait les differentes sensations.
De maniere quil semble que la définition de Platon et de Straton, qui ont dit que l'ame est vne substance [INTERL:] mieux qui Sent, vaut XX que celle de Décartes qui la définit vne substance qui Pense. Car quelque chose qu'on puisse dire, on ne pense point aux choses qu'on n'a pas senti, et on ne raisonne
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que sur les jmages que la memoire (qui est vn organe plus merueilleux que les autres, placé dans le cerueau, lequel rassemble toutes les actions des autres organes) nous represente. Ce raison= nement se fait en comparant vne sensa= tion auec l'autre. Lorsque les jmages des sensations précedentes se forment dans le Cerueau, cela s'apelle Penser, laquélle pensée se forme par le mou= uement des esprits animaux, qui volti= gent dans les fibres et dans les traces que les sensations ont formées dans le cerueau comme Epicure l'a dit long- tems auant Décartes. Si l'on examine donc de prés la nature de l'ame, jl semble qu'on peut conclure auec Platon, que c'est vne substance qui se meut et qui sent qu'elle se meut. Cependant comme il n'y a point de mouuement réel sans
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quelque matiere ou corps, il en resulteroit que l'ame seroit materielle et corporelle. Néanmoins il est visible que le corps, d'autant que simple corps ne sent point, quoiqu'il se meuue ou qu'il soit mû. Du moins nous ne pouuons pas connoître qu'il soit capable de sentiment, parce que pour sentir il ne suffit pas d'auoir vne ame, mais il faut auoir des organes propres à certaines sensations. Car quoiqu'vn homme ou autre animal viuant ayent vne ame, jls ne voyent pas sans yeux, et n'entendent pas sans oreilles ; et même ils ne voyent et n'entendent point, si les organes sont bouchés de maniere que l'esprit animal, qui est corporel, ne puisse se mouuoir ou être mû facilement dans ces organes, pour faire la sensation conuenable à cet organe.
L'on voit donc que quoique la nature
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de l'ame soit de se mouuoir, et d'être (comme dit Platon apres Pitagore) toûjours en mouuement. Qu'en se mouuant elle se represente a tout moment quelque chose de ce que les sens lui ont representé, (lequel effet se [INTERL:] XX le moyen de produit par XX l'organe de la Memoire,) qui [INTERL:] nomme Comme on est ce qu'on /apelle/ pensée. ######## [INTERL:] quand on compare les apelle raisonner ################## [INTERL:] XX que ### pensées l'vne auec l'autre, et XX par le souuenir du bien ou du mal que les choses passées ont produit, l'on juge de ce qui peut arriuer a l'auenir, si l'on fait ou l'vne ou l'autre chose ; ce qui s'apelle Raison ; c'est a dire raisonner et conclure par le raisonnement. Car la Raison, comme le dit Ciceron, n'est que la conclusion de l'argument formé par le raisonnement. Quoique ces choses, dis-je, et plusieurs autres semblables, soyent des operations qui dériuent du mouuement que les esprits animaux materiels font dans
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l'organe du cerueau : cependant le simple mouuement de ces esprits materiels et cor= porels, ne pouuant pas produire ces effets que nous apellons sentir, connoître, et discerner la difference qu'il y a d'vn objet à l'autre, cela a fait dire à Aristote ; que l'Ame est quelqu'autre chose que le simple mouuement des esprits corporels, que nous apellons Animaux. Parceque c'est par leur mouuement que se produit le sentiment et la connoissance. Ce philosophe donc a dit que l'Ame n'étoit pas le mou= uement des esprits animaux, mais ce qui faisoit mouuoir ces esprits. Jl a même apellé l'Ame le Principe du mouuement, comme aussi quelque chose de Diuin, et d'jncorporel. Non pas que l'ame fût tout a fait jncorporelle, d'autant qu'elle est vnie et jnseparable du corps ; mais parce que ce n'est pas le corps qui se meut, (pour parler juste,) lequel sent ; mais ce qui fait mouuoir est proprement
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l'ame, et ce qui produit le mouuement est quelque chose de Diuin, et de different du corps. En effet comme le premier moteur ou le principe de tout mouuement est Dieu, on a pû dire que l'ame étoit quelque chose de Diuin, et vne substance, qui est (par abstraction) tout a fait jncorporelle. Cette opinion, qui aprochoit le plus de nôtre Religion, a été suiuie et enseignée fort longtems, et elle est encore soûtenuë dans les Ecoles ou l'on enseigne la philo= sophie Peripateticienne. Décartes ayant depuis défini l'ame vne substance qui Pense, ceux qui n'ont pas fait beaucoup de reflexion sur ce qu'on ne peut penser qu'aux choses qui ont été representées, ou qui sont actuellement representées par les Sens ; ceux-là, dis-je, ont crû que l'acte de la pensée étoit quelque [INTERL:] XX de tout a fait chose XX /d/ jmmateriel, et different du senti= ment : quoique ce ne soit qu'vne action de la memoire, qui represente ce qu'on a senti.
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C'est pourquoi Messieurs de Port-Royal con= noissant la difficulté, et voulant soûtenir la Doctrine de Decartes qui paroissoit fauoriser la Religion, jls ont écrit contre cet axiome reçû, et dont Aristote a si bien prouué l'éuidence : Que l'Enten= dement (l'ame) ne connoît et ne conçoit rien que par le moyen des sens. Nil jn jntellectu quod non fuerit in sensu. Car quoiqu'il soit vrai qu'il y a plusieurs actions de l'Ame, lesquélles ne paroissent auoir aucune connexion auec les sensations ; cependant quand on les considere bien sans preuention, on voit (comme Mess.rs de Port Royal l'ont vû) que tout roûle sur les sensations passées ou presentes. Jl est vrai que le raisonnement et la dispute [MARGE:] Il y a aussi diuers organes jnternes de la memoire, ou les sensations reuiennent, et qu'on apelle Pensées, jmages, jdées etc. [FIN DE LA MARGE] même semble quelque chose de different des sensations ; mais il est facile de montrer que tout roulle sur ce que nous auons senti, soit present ou passé.
Par tout ce que je viens de dire
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[INTERL:] XX que on peut conclure, XX quoique les vns aprou= ueront l'opinion de Thales, ou celle de Pitagore, de Straton, de Platon, ou d'Aristote ; on peut conclure, que ce n'est au fond que de pures opinions, dont l'vne plaira a quelqu'vn, et ne plaira pas a d'autres. Que la verité la plus probable est celle d'Heraclite : Qu'on ne connoît point, et qu'on ne peut pas connoître quélle est la nature de l'ame ; quoique nous connoissions ses effets, et rien d'auantage. C'est pourquoi on ne peut rien affirmer sur son essence, si ce n'est des opinions plus ou moins aparentés, et lesquélles plairont a l'vn et non pas a l'autre. De maniere que ne pouuant pas sauoir au vrai ce que l'ame est en elle- même, jl est difficile, pour ne pas dire jmpossible, de deuiner ce qu'elle deuient après la mort de l'animal. Jl n'y a eû jusqu'a present que des opinions,
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sur lesquélles la Religion a empieté, nous contraignant d'en croire vne.
Les Anciens qui raisonnoient plus justes que Décartes sur les principes des choses, ont consideré que les animaux donnant toutes les marques de sentiment et de connoissance comme les hommes, il faloit dire que comme il y a vn principe general d'ou prouiennent tous les corps, jl y auoit aussi vn principe vniuersel qui animoit les corps qu'on apelle animés, et que ce principe étoit cette force motrice qui animoit et qui faisoit mouuoir toute la nature, non pas au hazard, comme disoit Epicure, mais auec connoissance, et par des Loix jmman= quables et certaines. C'est cette force agente et motrice qu'ils apelloient l'Ame generale de toutes choses et de l'Vniuers, et qu'ils reconnoissoient [MARGE:] Cicer. Acad. Quest. L. 1. [FIN DE LA MARGE] proprement comme Dieu. Quam vim
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Animum dicunt esse Mundi, quem Deum apellant. Nous-mêmes nous apellons Dieu le premier Moteur. C'est sur ce fondement qu'Aristote a dit, que l'ame est le principe de mouuement et ce qui fait mouuoir ; Cette force motrice qu'ils disoient être dans la matiere premiere, et qui étoit quelque chose de different de la matiere des élémens, quoiqu'elle fût sans la matiere des Elemens, étoit l'ame vegetale ou animale, laquélle en mouuant produisoit differens effets, selon le mélange des elemens et suiuant la disposition des organes : Voyant par les yeux des corps qui en auoyent, ou entendant par les oreilles, fleurant par le nés etc. Comme cette ame étoit vn principe vniversel qui formoit l'ame particuliere, de même que la matiere corporelle étoit vn principe général qui produisoit les
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corps particuliers, l'vn et l'autre de ces principes étoit éternel et ne périssoit point aprés la destruction du corps, mais chacun se reunissoit a la masse vniuerselle d'ou il étoit venû. La terre à la terre, l'humidité à l'humidité, l'air a son element, et le feu ou la matiere la plus subtile eterée, se reûnissoit à l'Eter. De maniere que rien ne se perdoit ni ne s'anéantissoit de ces principes. C'est sur ces fondemens que Pitagore et Platon ont auancé qu'aprés la mort, l'ame particuliere se reunissoit a l'Ame Vni= uerselle de laquélle elle étoit prouenuë. C'est aussi dans ce sens qu'ils ont dit qu'elle étoit jmmortelle, c'est à dire qu'elle ne s'anéantissoit pas, parceque c'étoit vn principe vniuersel qui se mouuoit de lui-même, et que les principes des choses sont éternels et jmperissables. C'est pourquoi Ciceron voulant prouuer
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l'jmmortalité de l'ame, jl se sert de cet [INTERL:] XX que je viens de raporter ; argument XX ; je veux dire que le principe étant jmperissable, l'ame qui en proue= noit étoit jmperissable et jmmortelle. Je raporterai mot à mot son argument, lequel a parû si beau à ce grand hom= me, qu'il la repeté plus d'vne fois dans ses écrits. Le voici.
"Ce qui se meut toûjours par lui-même, "est éternel. Ce qui donne le mouuement "a vn autre en l'agitant, quand celui qui "l'agite cesse de l'agiter, il est necesaire "que celui qui est mû cesse de se mouuoir. "Jl n'y a donc que ce qui se meut de /soi/ lui- "même et par sa propre force, qui ne "manque jamais en lui parcequ'elle lui "est naturelle, lequel ne cesse jamais de "se mouuoir ; et il est au surplus la source "et l'origine du mouuement des autres "qu'il meut, et qui n'ont pas vn mouuement
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"propre. Or le principe n'a point d'origine. "Car c'est du principe que toutes choses pro= "uiennent. Le principe ne vient d'aucune "chose ; d'autant que s'il prouenoit d'vn autre "il ne seroit pas principe. Que s'il ne naît "point, jl ne peut jamais mourir. Car si "le principe venoit à s'éteindre, il ne pouroit "pas renaître et être reproduit par vn autre, "et il ne seroit point principe s'il venoit d'vn "autre principe. S'il venoit a perir rien "ne se pouroit plus produire, parceque "toutes choses doiuent venir de quelque "principe. Cela fait que le principe du mou= "uement est ce qui se meut de lui-même, et "non pas par vn autre. Celui-là ne peut ni naître "ni mourir. Que le Ciel et l'Vniuers sombre, "et que l'ordre de la nature s'anéantisse, "le principe existera toûjours, et rien ne "poura empêcher qu'il ne se meuue par "sa propre force.
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"Etant donc visible que ce qui se meut par "sa propre vertu est éternel. Qui poura nier "cette nature aux ames. Tout ce qui est mû "et agité par vn autre est jnanimé ; et ce "qui est veritablement animé, se meut de [INTERL:] XX ce qui est "soi-même, et par sa propre vertu, XX /C'est/ la "propre nature de l'ame. Que si cela est "certain, il est certain aussi que l'ame est "éternelle et jmmortelle. L'ame sent donc "(ajoûte Ciceron aprés Platon) qu'elle se meut, "et elle sent qu'elle se meut par sa propre "vertu et qu'elle ne peut jamais cesser de se "mouuoir, d'ou vient l'éternité et l'jmmortalité "de l'ame, parce qu'elle est le principe du "mouuement qu'elle donne au corps dans le= "quel elle demeure.
Cet Argument prouue sans doute fort bien l'existence éternelle de l'ame qui sent qu'elle se meut, et prouue de même aussi que son éxistence ne peut pas cesser ;
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mais cela n'ôte pas la difficulté, qui consiste en ce que la même éternité est attribüée a la matiere corporelle, laquélle est aussi le principe de tous les corps. Rien ne se perd dans la nature vniuerselle, ni ce qui fait le corps ni ce qui fait l'ame. Comme le corps en se corrompant se mêle a la masse vniuerselle et corporelle, jl n'est pas jmpossible que (suiuant le sentiment de Pitagore) cette substance qui forme l'ame, ne se reûnisse à l'ame generale du monde d'ou elle est émanée, et de laquélle prouiennent toutes les ames vegetales et animales qui sont aussi jmmortelles.
Cette difficulté a été connuë par tous ceux qui l'ont considerée, et même par [INTERL:] voulant St. Augustin, qui ##### accomoder la croyance de l'ame et mettre vne difference entre celle des hommes et des animaux, jl a crû qu'on deuoit dire que Dieu créoit
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exprés l'ame de l'homme etc. : C'est pourquoi les Peres de l'Eglise dans le 3e. Concile de Constantinople ont défini, que l'ame de l'homme étoit crée de Dieu et tirée du néant. Sans quoi elle viendroit de l'ame ou du Principe vniuersel du monde, comme celle de tous les autres corps qui ont quel- qu'espece d'ame, étant visible qu'elle âgit differement dans les corps, suiuant leur organisation, et le mêlange des elemens, qu'on apelle temperament. Mais cette Création nouuelle des ames a ses difficultés à l'égard du péché originel, [INTERL:] XX lui-même comme St. Augustin XX en trouuoit, quoique dans le Concile que nous auons cité on ait suiui le sentiment auquel ce St. Docteur étoit porté, et lequel est le plus propre a faire vne distinction de l'ame raisonnable, en ne la faisant pas venir d'vn principe vniuersel et commun aux autres animaux.
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Décartes a encore mieux fait, en nyant que les bêtes ayent aucun sentiment ni con= noissance. C'est ce qui a fait que cette opinion fauorisant la Religion a été em= brassée auec quelqu'auidité, quoique contraire a toutes les aparences du sens-commun.
L'on peut donc voir par tout ce que je viens de dire, qu'il n'y a sur vn tel article que des opinions philosophiques, lesquélles sont fixées au dogme de la création de l'ame humaine, auquel nous deuons aquiescer. Captivantes jntellectum in obsequium Fidei.
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A Madame de ŠŠ Sur les differentes Religions d'Hollande.
Le detail que vous me demandés, Madame, exigeroit pour le moins vn volume ; cependant pour obeyr à vos ordres, je vais tâcher de le faire le plus succintement qu'il me sera pos= sible, et autant que les bornes d'vne Lettre le peuuent permettre.
Je vous dirai donc que la principale Religion d'Hollande est la Caluiniste, qu'on apelle communement en France Huguenotte ; mais cependant la liberté est pour toute autre. La Lutherienne y est fort ample. Jl y a aussi dans les Prouinces vnies, (à ce qu'on dit,) vn tiers de Catholiques Romains. On y trouue beaucoup de Juifs, aussi bien que des Armeniens et des Moscouites qui suiuent l'Eglise Grecque, de même que des Turcs et des Persans, quoique ces derniers soient en petit nombre. Les originaires du païs sont diuisés en plusieurs sectes differentes ; Les Huguenots-mêmes sont diuisés entr'eux sur
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certains points. Car Voëtius soûtenoit plusieurs vetilles, entr'autres : Que l'on ne doit pas admetre à la Cêne ceux qui prêtent à vsure ; Qu'il faut obseruer auec soin le jour du repos ; éloigner des biens Ecclesiastiques les personnes jnutiles à l'Eglise et à l'Etat ; ne celebrer aucun jour de Fêtes, pas même Pâques, Noël etc. ; Qu'il faut dire Pierre, Jean etc. et non pas St. pierre, St Jean etc. Enfin de mêner vne vie trés seuere.
Des Mares au contraire le combatoit en tout.
Cocceïus (qui étoit de leur tems) les reûnit par les nouuelles opinions qu'il proposoit, et qu'il publia en partie. Jl étoit sauant dans l'Ecriture, et il auoit fait vn sisteme de plusieurs visions de la Loy du Vieux et du Nouueau Testament. Entr'autres, jl dit : Que les Fidelles pendant qu'il n'y a auoit que la promesse par laquélle le Verbe s'engageoit a payer pour le Peché d'Adam, dans ce tems, dit-il, les seuls fidelles obserua= teurs de la Loy, étoïent sauués. Jesus ayant
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payé depuis, tous les fidelles sont sauués. Jl attend vn nouueau Regne de Jesus-Christ, sous lequel tous les Jnfidelles seront conuertis etc.
Les Lutheriens sont aussi diuisés entr'eux, principalement en Allemagne, car en Hollande ils suiuent assés rigidement la vraye Doctrine de Luther. Cependant ces derniers different assés de ceux d'Allemagne, du Danemark, et de Suede. Premierement en ce qu'ils ne se seruent pas de la Confession auriculaire : 2°. Point d'jmages, ni d'habits, sacerdotaux dans les Eglises : 3°. Aucun ordre des Prêtres, comme Diacres, Soudiacres etc. ; mais de simples Ministres.
Les Arminiens et les Demontrans. Leur grand point gissoit sur la Predestination, ou Prescience de Dieu qu'il soûtenoient. On ne les reconnoît plus à present. Vorstius et Episcopius y ont inseré la plus grande partie des erreurs des Sociniens.
Les Sociniens nïent la Diuinité de Jesus-Christ, l'existence du St. Esprit, le Peché Originel ; la satisfaction de Jesus Christ ; le retablissement du même corps des fidelles, ou
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resurection auec le même corps. Leurs assemblées publiques sont défenduës, mais ils passent pour Arminiens. Ce sont de fort bonnes gens, pieux, sauans dans l'Ecriture quoique jgnorants d'ailleurs. Jls sont zelés pour l'Vnité de Dieu le Pere, etc.
Les Arminiens d'aujourd'hui disent : Que la Doctrine de la Trinité des personnes dans vne seule essence, n'est point necessaire au salut. Qu'il n'y a point dans l'Ecriture aucun precepte qui ordonne d'adorer le St. Esprit, ni d'exemple qu'il ait été adoré. Les Sociniens disent, que ce n'est que la Vertu Diuine qu'on exprime par ce mot. Les Arminiens prétendent que Jesus-Christ n'est pas vn Dieu égal au Pere. (Les sociniens soûtiennent qu'il est crée et adopté par grace.) Jls éuitent le mot de satisfaction de Jesus-Christ pour nos pechés. Cependant Espiscopus dit : Qu'il a satisfait jusqu'a vn tel point, qu'il a rendu Dieu propice a tout le genre humain. Que Dieu n'ayant plus de colere, il ne reste plus d'jnimitié, hormis contre ceux qui refusent d'embrasser la grace de Jesus-Christ. Jls
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prêchent auec grand soin la tolerance de toutes les opinions des Chrêtiens, soûtenant que tous s'accordent dans les points essentiels, et que n'étant pas possible de décider quélle est la Religion la plus veritable, la plus pure etc., il faut par consequent que tous forment comme Chrêtiens vn même corps, et s'aimer comme freres. Jls aportent l'exemple des Pharisiens, Saducéens, Esséens etc. qui alloient tous au même Temple, quoiqu'ils differassent dans leurs opinions. En vn mot tolerer toutes celles des Chrêtiens. Jl y en a encore quelqu'vns qui suiuent la Doctrine ancienne d'Arminius, mais le reste suit les sentimens que nous venons de raporter.
Les Brouinistes. Sont separés des Eglises d'Angleterre et d'Allemagne, non pas pour les Dogmes, mais par la maniere du gouuerne= ment. Jls refusent également celui des Presbiteriens et des Episcopaux. Jl ne veulent pas se joindre aux Eglises des autres, parce= qu'ils ne sont pas assûrés de la probité des membres ; et qu'on admet dans la communion des pecheurs etc. Jls condamnent la Benediction
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des Mariages, d'autant qu'ils disent que c'est vn Contrat purement ciuil, dont la confir= mation dépend du Magistrat. Jls ne veulent pas qu'on baptise les enfans de ceux qui ne sont pas membres de l'Eglise, ou qui n'ont pas soin des enfans. Jls rejettent tout formulaire de prieres, même le Pater, qui n'est, a ce qu'ils pretendent, qu'vn Exemple pour prier. Jls rejettent aussi l'vsage des Cloches, des Eglises, particulierement de celles qu'ils disent auoir été consacrées à l'jdolatrie.
Les Jndependans doiuent leur naissance aux Brouinistes. Jls disent que chaque Eglise a en elle-même de quoi se gouuerner et qu'elle n'a pas besoin de consulter vne autre ni de faire des Sinodes, et si on en fait ce n'est que comme pour entendre le conseil d'hommes sages, et non comme obligés a suiure leur conseil. (On detruit par là l'vnité des sentimens et des rites d'vne seule Eglise en plusieurs membres.) Jls sont pourtant d'accord jusqu'a present des points de la Religion Huguenotte, suiuant la confession de foy qu'ils ont presentée à Londres en 1651.
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Les Anabaptistes d'Hollande s'apellent Mennonites, nom qu'ils tirent de Menon chef de cette secte né dans la Frise. Ce Menon a rejetté les entousiasmes et les reuelations des Anciens Anabaptistes, aussi bien que leur opinion touchant le regne de Jesus-Christ qu'ils vouloient fonder par les armes. Jl a établi de nouueaux dogmes. Ses disciples croyent, suiuant ce qu'il a auancé, qu'il n'y a que le nouueau Testament qui soit la regle de la foy et de la Religion. Qu'en parlant du Pere, du Fils et du St. Esprit il ne faut pas se seruir du terme de Personnes, ou de Trinité. Que les premiers hommes n'ont pas été crées justes et saints. Qu'il n'y a point de peché originel. Que Jesus n'a point tiré sa chair de la substance de Marie, mais de l'essence du Pere. Que la Parole ou le Verbe n'a pas été changé en homme, ou qu'il l'ait aporté du Ciel ; mais qu'on ne sait pas d'ou il la pris etc. Que l'Vnion de la nature Diuine et humaine en Jesus s'est faite de maniere, que la Diuine a été rendüe non- seulement visible, mais sujette aux souffrances
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et à la mort. Qu'il n'est pas permis aux Chrê= tiens de jurer, ou d'exercer aucune charge de Judicature Ciuile, ny de se seruir de l'Epée, pas même pour punir les méchants, ou de faire la guerre pour quelque sujet que ce soit. Qu'il n'est point permis aux ministres de la Parole de receuoir aucun salaire de leur peine. Qu'il ne faut point baptiser les petits enfans. Que les ames des hommes se reposent aprés leur mort dans vn lieu jnconnu, jusqu'au jour du juge= ment.
Ces Mennonites se sont encore partagés en plusieurs sectes. Ceux de Flandres sont d'vne extreme rigueur, et ils excomunient ceux de leur secte pour des fautes très legeres ; et ils croyent qu'il n'est pas permis de manger, de boire, ou de contracter avec eux. Sur ce principe ils arrachent les femmes des maris, les enfans des peres etc. Ceux de Frise au contraire sont fort relachés, et reçoiuent tous dans leur communion, c'est pourquoi on les apelle Stercorurÿ. Les autres se sont
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aussi separés pour des choses trés legeres, comme par Exemple les Mammilary, par= cequ'vn jeune homme ayant manié la gorge d'vne fille qui lui étoit accordée en mariage, on vouloit pour celà l'excommunier. Vn autre parti soûtenoit que Non. Cela fit vn schisme ; et ceux de la rigueur apellerent les autres Mammillary. Tous les jours ils se diuisent ; et ceux qui se separent, se joignent a quelqu'autre parti des mêmes mennonites.
Plusieurs des Mennonites ont embrassé la plus grande partie des opinions des Sociniens, ou des Arriens touchant la Diuinité de Jesus-Christ.
Jls prêchent tous la tolerance des sectes que les Arminiens demandent. Jls croyent qu'il ne faut pas rejetter de leur Eglise aucun homme qui vit pieusement et qui reconnoît l'Ecriture pour la Parole de Dieu. Ceux-cy s'apellent Galenistes, de Galenus Medecin d'Amsterdam.
Les Arriens. jl y en a grand nombre, et vne partie des Sociniens embrassent
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leur opinion. Jls croyent que le Verbe auoit été crée auant toutes les Créatures. Que Dieu s'en étoit serui dans l'ancien tems, quand il auoit quelque chose a annoncer aux Patriarches, et aux Prophetes. Que ce Verbe par vn anéantissement volontaire, auoit animé le corps de Jesus-Christ sans autre ame. Jls croyent que toutes les ames des hommes étoïent des esprits subsistant auant leurs corps ; et qu'ils prenoient le nom d'ame, lorsqu'ils animoient les Corps. Sandius Polonoïs a retabli l'Arianisme : et prouue dans vn liure que tous les Peres, depuis les Apôtres jusques à Arrius, ont eû les mêmes sentimens touchant la Trinité.
Les Borellistes de Borel, frere d'vn ambassadeur de ce nom auprés du Roy Loüis XIV. La plus grande partie d'entr'eux, tiennent pour les opinions des Mennonites ou Ana= baptistes. Jls ont choisi vne vie trés seuere, et charitable. Jls ont en auersion toutes les Eglises, Liturgies, vsage des sacremens, prieres publiques etc. Jls soûtiennent que toutes les Eglises aprés la mort des
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Apôtres ont degeneré de ce qu'ils ont enseigné, parceque les Docteurs humains ont donné diuerses jnterpretations à l'Ecriture, qui est la seule verité : voulant faire passer leurs Liturgies, confessions de foy etc. comme jnfaillibles. Jls soûtiennent qu'il ne faut lire que la pure parole de Dieu, sans y rien ajoûter. Qu'en vne assemblée de Chrêtiens ou l'on ne trouue que des gens de cette nature, ils y doiuent être admis comme fidelles. Car l'vn n'en sait pas plus que l'autre.
Les Enthousiastes, Quaquers ou Trembleurs, sont fort rigides, et particulierement sur la mortification de la chair. Jls ne veulent que l'Ecriture. Mais ils disent qu'elle est morte, a moins qu'elle ne soit animée par l'esprit Diuin et jnterieur que chacun a en soi, et que cet esprit est le vrai Docteur. Que ceux qui reçoiuent cet esprit sont vnis à Dieu, et faits des Dieux. Dans leurs assemblées, ils demeurent longtems assis sans parler ou remuer, attendant vne heure
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ou deux, que cet Esprit vienne les animer : alors (et les femmes mêmes) ils parlent suiuant l'jnspiration. Jls censurent les autres Chrêtiens. Jls déclament contre les vices. Jls défient les autres a dire mieux qu'eux, ce qui donne souuent lieu a de grandes contestations. S'ils ne sont pas jnspirés, ils se retirent tous sans rien dire.
Les Libertins, chacun a son sentiment particulier. La plûpart croyent qu'il y a vn seul esprit de Dieu qui est dans tous les viuants, lequel est répandu par tout, qui est et vit dans toutes les creatures. Que la substance et l'jmmortalité de nôtre ame, n'est autre chose que cet esprit Diuin. Que Dieu lui-même n'est autre chose que cet Esprit ; Que les ames meurent ou se dissipent auec le corps. Que le peché n'est rien, que ce n'est qu'vne simple opinion qui s'éuanoüit, pouruû qu'on n'en tienne compte. Que le Paradis et l'Enfer sont des jllusions Politiques, pour empêcher les hommes de transgresser les Loix Ciuiles, et les retenir dans l'obeissance etc.
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Les Chercheurs. Jls conuiennent qu'il y a vne veritable Religion, enseignée par Jesus-Christ et par les Ecritures, mais que personne ne sait quélle est la bonne entre toutes celles qui ont été et sont. Jls meditent les Ecritures, et prient Dieu auec ardeur de leur jnspirer quélle est la bonne, aussi bien que ce qu'ils doiuent faire. Jls trouuent a redire a chaque secte en particulier, et y trouuent quelque chose de defec= tueux, ce qui fait qu'ils les rejettent toutes. Jls meurent ainsi en cherchant.
Spinosa Juif de naissance. Jl paroît auoir pour but principal dans son traité la destruction de toutes les Religions, et particulierement la Judaïque, sur laquélle est fondée le Christianisme. Jl veut jntroduire l'Atheïsme, le Libertinage, et la liberté de toutes les Religions dans son Traité Theologus Politicus. Jl
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soûtient qu'elles ont été toutes jntroduites pour l'vtilité que le Public en reçoit, afin que tous les Citoyens viuent honnêtement en obeissant aux Magistrats. Qu'on doit s'adonner a la vertu sans aucune esperance de recompense, mais pour l'excellence de la vertu en elle- même, et pour les auantages que ceux qui la suiuent en reçoiuent dans cette vie. Jl ne dit pas ouuertement dans son Liure l'opinion qu'il a de la Diuinité, quoiqu'on la conjecture ; cependt. il fait assés clairement entendre dans ses discours, que Dieu n'est pas vn Être doüé d'jntel= ligence, jnfiniment parfait, et heureux, comme nous l'jmaginons : mais que ce n'est autre chose que cette vertu de la Nature, qui est répandüe dans toutes les créatures etc.
Jl y a encore quelqu'autres petites sectes de peu de consequence, dont le detail seroit trop long, et même jnnutile, d'autant qu'elles dériuent de la plûpart des
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principales dont j'ai parlé. D'ailleurs je m'aperçois que vous vous ennuyés, aussi bien que moi, d'être entretenuë si longtems de rêveries et de sotises hu= maines. C'est pourquoi je finis en vous assurant que etc.
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A Monsieur de ŠŠ
Jl est vrai, Monsieur, que toutes les societés policées ont vne Religion. Jl n'est pas douteux non plus que la fin de la Religion, est de rendre à l'Être souuerain la pratique d'vn hommage respectueux, et d'obseruer les preceptes et les regles de bien viure dans sa société, que chaque Religion et le peuple Religieux croyent être émanées de Dieu-même. Cependant il est étonnant que tous les hommes ayant vne même fin d'honnorer Dieu, et de viure honnêtement entr'eux, néanmoins ils se haïssent et deuiennent ennemis mortels, s'ils ne s'accordent pas dans la précision des mêmes pratiques. Ce qui est encore plus étonnant, c'est que l'on se haïsse, qu'on se fasse facilement la guerre, et qu'on s'expose a s'entretuer, pour le premier point de la croyance des misteres, ou du Culte different ; et qu'on se soufre facilement pour l'jnfraction des Preceptes ; qui sont la veritable fin que la Religion
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propose, et qui regardent la vie honnête et juste. On se contente de murmurer les vns aux autres ; mais on ne se fait point la guerre : même l'jnfraction des preceptes et le desordre des moeurs seroit bien plus grand, si les Magistrats seculiers ne s'oposoient au desordre des hommes, pour les obliger de cacher en partie leurs forfaits, et mettre quelque frein a la licence que l'ambition, la vangeance, l'auidité des richesse et les voluptés de la chair, (entr'autres vices,) pouroient produire dans les societés.
J'ai souuent recherché la cause d'ou peut prouenir cette fureur des hommes contre les autres hommes, pour la diuersité des opinions et des misteres, qu'ils n'entendent pas pour la plûpart, aussi bien que pour la pratique du Culte, qui n'est pas l'essen= tiel de la Religion ; et que d'vne autre part ils se suportent facilement sur l'jnobservance des Preceptes, qui sont bien plus essentiels et plus jmportans a la societé : De cela j'en ai trouué deux
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causes principales. La Premiere est, que quasi tout le monde penchant a transgresser quelqu'vn des preceptes : on soufre le peché de l'autre, (pouruû qu'il ne nous offence pas,) afin qu'on tolere le nôtre ; et comme les Medecins de la Comedie, on passe à l'vn la saignée, afin qu'on nous accorde l'Antimoine. La seconde est, que ceux mêmes qui gouuernent et reglent la Religion étant dans le cas des autres, ils ne sont pas si seueres a condamner (ceux qui reconnoissent leur autorité) sur le point du relachement des preceptes de la morale ; mais ils sont trés rigoureux a châtier (autant qu'ils le peuuent) ceux [MARGE:] (a) La croyance et le Culte [FIN DE LA MARGE] qui manquent aux deux autres points, (a) sur lesquels les hommes se regardent comme des jmpies et des scelerats, quand même dans la morale ils seroient gens de bien.
Si l'on cherche pourquoi cela : jl semble qu'il y a deux causes, vne naturelle, et l'autre artificielle. La naturelle a deux principes. Le premier est fondé sur
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ce qu'il a sa source dans l'ambition et dans le désir de la superiorité, ou du moins de n'être pas jnferieur. Le second est, que nous auons tous quelqu'auersion, et du mépris pour tous ceux qui ne sont pas de même auis que nous. Cela paroît dans toutes les occasions, même les plus petites, ou l'on nous contredit, et c'est assés pour passer pour vn foû et pour vn extrauagant, que d'être seul d'vn auis contraire aux autres, quoiqu'on prouue par des raisons éuidentes et conuain= cantes, qu'on a raison de contredire, de penser, ou de faire autrement que ce que les autres font ou pensent. On la vû, et on le voit encore dans les opinions et les disputes des Anciens, et des modernes philosophes. Les premiers, ainsi que les derniers font encore aujourd'hui, se haïssoient et se décrioient l'vn, l'autre, par des calomnies mêmes très atroces, quoiqu'il ne fût question que d'opinions et de sistemes de philosophie peu jmportans. En vn mot l'homme veut être en tout, autant qu'il peut, superieur aux autres. Jl veut même qu'on pense comme lui, si l'on veut
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être de ses amis. Voila cette cause naturelle, que chacun peut considerer dans toute son étendüe, me suffisant de la faire connoître.
A l'égard de la cause artificielle, je croirois volontiers qu'elle est a peu prés la même ; c'est a dire cette enuie d'être superieur aux autres, qui fomente dans les moins simples certaines opinions, et lesquels s'en faisant chefs et deffenseurs, fournissent des raisons aux Jdiots, pour soûtenir vne opinion qu'ils ont embrassée, ou qu'ils ont succée auec le lait.
Par ce moyen ces gens d'esprit s'érigent en chefs de parti et en maitres de la Religion, ils aquierent du credit, obtiennent des em= plois sur la conduite du peuple, lequel les respecte et les reuere comme des demi-Dieux ; et par ce moyen ils aquierent de bons biens et des commodités, desquélles ils jouïssent a leur aise et suiuant leurs propres jnclinations, mais quasi tous comme les autres hommes, les vns auec vn peu plus de retenüe, les autres moins, et plusieurs sans aucun menage= ment, lesquels en vsent comme le mauuais riche, particulierement lorsqu'ayant obtenu de gros benefices ils ne veulent plus qu'en joüir.
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Cela fait donc qu'étant comme les autres hommes, ils ne sont pas si austeres contre ceux qui manquent à l'obseruance des Pre= ceptes ; mais ils sont fort attentifs qu'ils ne croyent autrement que ce qu'ils veulent qu'on croye, et qu'on offre ou qu'on suiue vn autre Culte que celui qu'ils ont établi. Car autre que cette croyance et ce Culte leur donne la joüis= sance paisible des biens qu'ils possedent, ils aquiérent encore par ce moyen la parfaite soumission des autres hommes, lesquels s'ils y manquent, ils sont declarés jmpies, et comme tels poursuiuis jusqu'a la mort, sous pretexte qu'ils pouroient peruertir les autres ; mais en effet, parcequ'ils pouroient par ce moyen soustraire les autres de leur domination absoluë, et du respect qu'ils veulent qu'on ait comme ils disent) pour leur caractere, qu'ils se communiquent l'vn a l'autre, auec vn peu d'huîle, et vn de leurs souflets, qu'ils disent être Diuin.
La principale et quasi vnique attention donc de ces Messieurs, consiste à se rendre les hommes soûmis, aussi bien qu'a leur faire croire que leurs paroles et leurs décisions sont celles de Dieu, et que ceux qui ne les croyent pas sont ses ennemis, et par consequent ils doiuent
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être regardés comme de propres ennemis, ayant des opinions qui étant contraires a celles dont on est déja jmbû, on les croît d'autant plus facilement.
C'est par ce moyen qu'ils entretienent la dis= corde entre le genre humain, et entre les peuples qui ne les reconnoissent pas pour arbitres de leurs propres pensées. Faites ce que je vous dis, (disent-ils,) et ne prenés pas garde a ce que je fais. Mortifiés vous, et ne consi= derés pas si je vis dans le Luxe, dans la crapule, ou dans d'autres voluptés. Sur tout employés vos richesses à nous les donner, car nous les distribüerons aux jndigens, et par là vous serés heureux dans l'autre monde ; pendant que nous joüirons de celui-cy. Tués et massacrés s'il en est besoin, tous ceux qui pensent autrement que nous ne pensons.
A cet effet on a établi un Tribunal d'Jnquisition, non des moeurs, mais de la Croyance et du Culte, dans lequel on s'enquiert, si l'on a quelqu'autre opinion sur ce point, que celle qu'ils ordonnent. Si l'on trouue des refrac= taires, a moins qu'on ne se soûmette, par l'horreur que ces Messieurs ont de répandre du sang, on les brûle vifs.
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Cette subordination aueugle, chacun la demande a son tour suiuant sa Dignité. Le simple Prêtre et les Curés veulent le respect et la soumission absolüe de leurs paroissients. LEs Euêques, outre la soûmis= sion du peuple, veulent aussi celle de tous les Prêtres et les Cures. Le Pape qui pour être Euêque de la Capitale de l'Empire s'est érigé en Dieu visible sur terre et a fait receuoir ses paroles comme des Oracles, peu à peu s'est arrogé l'obeïssance et la soumission aueugle des Euêques d'Jtalie et d'Espagne, a demi ceux d'allemagne, et ne lui restant plus que la France, il veut encore la soûmetre a la même obeïssance.
Les Moines en jmposent aussi d'vn autre côté, par leur habit et par les aparences d'vne vertu austere, ils ont fait en sorte de partager ce credit et cette autorité au dessus des simples prêtres, et ils ont tâché même ne la pouuant auoir sur les Curés et moins encore sur les Euêques, qui d'ac= cord ont resisté pour ne se pas laisser enleuer vne si precieuse prerogatiue ; jls ont taché, dis-je, de s'exempter de la soûmission des prêtres et des Euêques, se mettant sous celle du Pape qui les protege contre les Prêtres seculiers, particulieremt. les Mendians et Jesuites, lesquels de leur part rendent de loin vne entiere obeissance au Pape et tous les seruices qu'ils peuuent, son autorité mettant la leur a couuert des autres Pretres. Je suis etc.
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A Monsieur le ŠŠ
Monsieur, jl n'y a pas à douter que le sisteme Jndien, en tant que sisteme religieux ne soit aussi deffectueux que tous les autres : Tous les Cultes que l'on voudra établir, ne pouuant l'être qu'arbitrairement, et conformement au génie des peuples pour qui on le fera. La chose ne se pouuant executer sans établir des ministres de ce Culte, quelque simple et quelque philosophique que soit le Sisteme dans son origine, il se chargera bientôt de mille absurdités de détail, qui grossiront tous les jour d'âge en âge, parceque la cause de la corruption subsistera toûjours. Nous voyons ce qui est arriué à la Chine pour le culte des Esprits ou des formes, et pour celui des Ancêtres, quoique depuis des milliers de siecles le Rite en ait été reglé par des Loix qui entroient dans le moindre détail, que l'on ait choisi pour Prêtres les Magistrats mêmes, et que des Tribunaux seueres ayent veillé a s'opposer aux jnnouations. La Religion Jndienne en tant que Religion a été sujette a de plus grans jnconueniens,
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pour auoir été liurée à la Poësie et aux fables de ces Moines du païs, dont l'jmagination est encore plus forte que celle de Therese et de Marie d'Agreda . Cependant si l'on y a regarde de prés, leurs austerités generales se reduisent a des bains et a des ablutions fre= quentes, pratique non seulement agreable, mais encore necessaire dans ce païs brûlant. L'abstinence de la viande n'est pas vne grande peine dans ce païs, ou les fruits, les Legumes, et le Ris, sont trés communs et trés nourissans. L'Estomac a peine à digerer la viande. Celle de Boeuf, qui est celle dont l'abstinence est ordonnée à tout le monde, est trés mal-saine, et de mauuais goût de l'aueu de Bernier. D'ail= leurs le païs ne pouuant nourir de Chevaux, les boeufs sont les seules bêtes de charge, et les seules voitures. Jls ne sont pas même en grand nombre, et les Jndiens sont aussi étonnés de voir que nous nous nourissons de cet animal, que nous le sommes d'entendre dire que les Tartares nourissent des chevaux pour les manger. Ce que je trouue de plus beau dans les sisteme Jndien, c'est le fondement, c'est la doctrine jnterieure dans laquélle
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ils enseignent qu'il n'y a qu'vn seul Être, qu'vne seule substance susceptible d'vn grand nombre de modalitées, qui forment tous les Êtres particuliers que nous voyons. Êtres qui commen= cent et qui finissent, quoique leur matiere premiere et leurs elemens subsistent necessaire= ment, parce qu'ils participent de l'existence generale. Ce qu'ils expliquent par la compa= raison d'vn morceau de Cire, qui change successiuement de figure sous differens cachets et dans differens moules.
Quand à la question que vous proposés : Si l'Etre souuerain veut vn Culte, et quel il est. Vous me permetrés de vous en faire vne autre. L'Etre souuerain a t'il vne volonté à nôtre maniere, et comment est-il distingué de nous et des êtres particuliers ? Comment peut-il vouloir quelque chose de nous, que nous puissions faire ou ne pas faire. Je vous auoüe que cette question me paroît jnsoluble. Veut-il que nous fassions autre chose que ce que nous faisons ? Nous sommes donc jndépendans de lui, et il y a quelque chose de plus puissant que lui, et nous sommes cette chose. Dans cette suposition il deuient jndigne de tout culte par son
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jmpuissance. Si nous ne faisons que ce qu'il veut, comme il veut tout ce qui arrive, le Culte est jndifferent et jnutile. Ainsi nous deuons nous tenir en repos. Quand a la Lettre d'Hipocrate à Damagete je l'ai luë plusieurs fois, d'autant qu'elle est en ma possession ; mais quoique l'Auteur paroisse auoir pensé juste sur toutes ces matieres, c'est vn predicateur moraliste qui n'a auoüé la verité qu'en fuyant, et qui la enuelopée d'vne jnfinité de choses qui l'obscur= cissent au point, que c'est tout ce que peuuent faire ceux qui ont les yeux déja bien ouuerts que de l'entreuoir, pour les autres ils ne soupçon= neront rien de ce qui y est caché. J'en ay vû qui croyant bonnément cette Lettre d'Hipocrate, n'étoïent pas scandalisés de ce qui s'y trouuoit d'vn peu dur, mais au contraire s'édifioient beaucoup de ce qu'ils croyoient y voir de bon. Pour reuenir a cette pretenduë Lettre d'Hipocrate, son principe du Culte prouincial étoit celui des Romains, les plus tolerans de tous les hommes, hors pour les Religions contraires a la societé ; c'est à dire pour les Religions jnsociables et persecutantes comme celle des [INTERL:] XX sisteme du Juifs, auquel le XX Culte prouincial ne conuient
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nullement. Jls croyoient bien que Dieu vouloit être adoré en Judée d'vne certaine maniere, mais pour les autres peuples s'ils ne s'en soucioit pas, c'est qu'il les regardoit comme des gens damnés d'auance. A l'égard de Pitagore, son Sisteme est Jmpenetrable pour moi. Jl y a des choses qui me le feroient regarder come vn profond philosophe, mais il y en a d'autres en plus grand nombre qui me le font prendre pour vn superstitieux, qui s'étoit chargé de toutes les superstitions grosses et menuës des peuples chés lesquels il avoit été, et il faut auoüer que du moins ses disciples étoïent deuenus l'opprobre de la philosophie, abstinences, jeûnes, purifications, sacrifices, Euocations et conjuration des Génies et des Demons, vertus cabalistiques des Nombres, figures talismaniques, Magie, Diuination, en vn mot toutes les croyances du vulgaire leur étoïent bonnes. Tels étoïent Porphire, Jamblique, Apollonius de Thianes, Damascius, et vn grand nombre d'autres, qui ont été les plus zelés deffenseurs du Paganisme contre les premiers Chrêtiens, lesquels proposoient
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vne Religion assés sensée, par comparaison a celle qui regnoit alors. Je vous demande pardon de mon peu de respect pour Pitagore, au cas que je me trompe, je ne refuse pas d'être jnstruit, ce sera vn sujet de controuerse, et vous ne vous plaindrés plus que nous somes trop d'accord pour ne nous pas ennuyer ensemble.
Quant à ce que vous dites de l'jdée de l'Être Sûpreme grauée dans nos coeurs, je ne suis pas tout a fait de vôtre auis, si par cette jdée vous entendés celle que les philosophes Theologiens, en ont fabriquée. Nous auons bien l'jdée d'vne cause qui produit tous les effets dont nous sommes témoins, mais si nous raportons celle des effets generaux éloignés a vne cause metaphisique abstraite et generale, c'est par vne fausse philosophie et par vn raison= nement paresseux qui accomode nôtre orgüeil. L'jdée que les Nations ont eû de la Diuinité, ou des Diuinités, n'a jamais été philosophi= que. Les Dieux étoïent des Etres semblables a nous, ou du moins analogues à nôtre nature, qui produisoient jmmediatement les effets les plus naturels, et ceux dont la cause est plus aisée a démêler. Quand au culte
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je n'en connois point d'autre, que l'obseruation exterieure des Loix de son païs, sans laquélle on ne peut être en repos dans la Societé. Je suis etc.
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[Page de Garde ]
Tho° Ulyate of Ste Parish of Covent Garden Aged 25 Jn°. Day, Esq°. at the George Coffey House /c Haymarked/ near Temple Barre
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