De l'utilité d'un dispensaire à Lisieux par Le Dr COLOMBE
Havre, 4 Juillet 1886.
A Monsieur le Dr Colombe, de Lisieux,
Monsieur et Cher Confrère,
C'est avec un réel plaisir que j'ai lu le travail que vous me faites l'honneur de m'adresser, et je crois que toutes les assertions qu'il contient sont exactes. L'assistance médicale, par le moyen de dispensaires pour enfants, bien outillés, bien dirigés par des médecins attentifs et dévoués, sera toujours supérieure à l'assistance suivant les errements anciens. La preuve est faite aujourd'hui, non seulement au Havre, où le dispensaire a plus de dix ans d'existence, mais à Rouen, à Paris (3 dispensaires), à Clermont-Ferrand (dispensaire municipal), à Rouen (dispensaire municipal), à Mulhouse, à Rio-Janeiro.
Au point de vue social, la grande affaire de l'assistance est de diminuer la mortalité du premier âge si considérable partout, à Lisieux comme ailleurs. En outre, vous êtes sûr par le moyen du dispensaire de sauver un grand nombre d'enfants des maladies générales, telles que la scrofule et la tuberculose, qui reconnaissent si souvent pour cause des affections de la peau, pas traitées ou mal traitées.
Vous êtes également sûr, au moyen de la consultation quotidienne faite en présence et avec le concours des parents, de combattre efficacement une foule de préjugés ou de superstitions enracinés, et cette prédication quotidienne d'une hygiène rationnelle suffirait à elle seule à légitimer les sacrifices que votre ville fera.
Je serai heureux, mon cher confrère, que mon témoignage puisse vous être utile et contribue au succès que vous méritez à tous égards.
Dr GIBERT.
Depuis quelques années, un nouveau mode d'assistance médicale tend à s'introduire dans plusieurs villes. L'idée première de cette innovation appartient au Dr Gibert qui, en 1875, fonda au Havre, un dispensaire pour les enfants malades.
Le Dr Gibert "fut frappé au plus haut degré du fait suivant : c'est que, dans un grand nombre de cas, et pour enfants bien plus encore que pour les adultes, le séjour à l'hôpital, à côté d'avantages incontestables, au premier rang desquels il faut placer le savoir des médecins et la gratuité du traitement, présentait des inconvénients non moins réels, à la fois physiques et moraux : il suffit d'indiquer, au point de vue physique, le danger de la contagion des maladies transmissibles, danger dont les exemples ne sont que trop fréquents ; au point de vue moral, le relâchement des sentiments de la famille, qui fait que les parents sont souvent amenés à se désintéresser de leurs enfants et que la sortie de ceux-ci, après un séjour d'une certaine durée à l'hôpital, au lieu d'être accueillie comme un rapprochement longtemps désiré, n'est subie que comme une charge inattendue et une nécessité injuste" (1)
"Donner au pauvre, toujours, le moyen d'être bien soigné ; donner à la ville le moyen de le soigner à bon marché ; donner à l'hôpital sa vraie signification et, en diminuant son budget annuel, lui permettre de s'améliorer jusqu'à ce qu'il ait atteint les limites de la perfection hygiénique ; voilà le problème à résoudre et, dans notre opinion, la solution est facile et sous la main".(2)
Voilà résumés, en quelques lignes, la signification et le but des dispensaires. Nous n'avons pas l'intention de faire l'historique de ces établissements, imaginés, on ne saurait trop le répéter, par le Dr Gibert ; tous ceux qui ont été installés depuis, à Rouen, à Paris, à Lille, à Mulhouse, à Clermont et à l'étranger, ont été calqués sur celui du Havre, et partout on se félicite des résultats obtenus : c'est là un fait incontestable pour les grandes villes. - N'y aurait-il pas aussi utilité pour des centres de moindre importance à imiter, toute proportion gardée bien entendu, ce qui s'est fait dans les villes que nous venons de citer ? L'étude que nous nous proposons de faire en ce qui concerne spécialement la ville de Lisieux, nous permettra peut-être de répondre affirmativement.
La création d'un dispensaire à Lisieux est-elle une oeuvre utile ? Les dépenses que cette organisation médicale peut nécessiter sont-elles en rapport avec les services qu'elle peut rendre ? Telles sont les questions que nous allons successivement examiner.
Mais tout d'abord, qu'est-ce qu'un dispensaire ? Nous trouvons la réponse à cette question dans un rapport présenté au ministre de l'intérieur, par M. le Dr Foville, sur le dispensaire fondé au Havre, par M. le Dr Gibert.
"Un dispensaire, écrit le Dr Foville, est un véritable institut thérapeutique, muni des ressources nécessaires pour assurer le traitement de toutes les maladies de l'enfance, pourvu que les petits malades soient en état d'être amenés ou reconduits chez eux, une fois que la consultation a été donnée et les prescriptions ordonnées mises à exécution. C'est là le côté nouveau et original de l'institution ; il ne s'agit pas seulement d'une consultation gratuite, se traduisant par une ordonnance écrite, comme cela se fait dans la plupart des hôpitaux ; ni même d'une distribution gratuite de médicaments, comme on fait dans beaucoup de bureaux de bienfaisance. Outre cela, M. Gibert voulut mettre à la disposition de ses jeunes clients tous les autres moyens efficaces de traitement, tels que bains simples et médicamenteux, appareils d'hydrothérapie et d'orthopédie, exercices gymnastiques, douches de toutes sortes, électricité sous toutes ses formes, massages, opérations chirurgicales proprement dites ; en un mot, il s'appliqua à créer un lieu de traitement des plus complets pour l'usage exclusif des maladies externes".(3)
Bien que cette citation soit un peu longue, nous avons cru devoir la transcrire entièrement, car elle donne une idée bien nette de l'organisation des dispensaires. A l'exception d'un ou de deux, ces établissements étendent leur action sur les adultes ; mais la plupart des malades sont des enfants ou des femmes. Ainsi, pendant l'année 1884, le dispensaire Dollfus, au Havre, a donné des soins à 2,443 individus différents ; les hommes inscrits étaient au nombre de 282 seulement ; les femmes de 247 et les enfants de 1614. Il y a peu de temps, nous assistions à une consultation donnée au dispensaire Martainville, de Rouen, par le Dr Gendron ; la plupart des malades étaient des enfants. Il en est de même partout, et cela se comprend aisément, en effet, un homme malade n'a recours aux soins du médecin que lorsqu'il est obligé d'interrompre son travail, et alors il se fait traiter chez lui, ou bien il entre à l'hôpital ; tandis que les femmes et les enfants, plus souvent indisposés, sont tout naturellement des clients attitrés du dispensaire.
L'utilité des dispensaires, organisés comme nous venons de l'exposer, étant un fait incontestable et incontesté dans les grandes villes, voyons maintenant s'il n'en serait pas de même dans les agglomérations moins importantes, à Lisieux notamment. Quelle est l'organisation de l'assistance médicale dans cette ville, et comment fonctionne-t-elle ?
Lisieux a à sa disposition deux ressources principales : le bureau de bienfaisance et l'hôpital. Les médecins du bureau soignent les indigents à domicile et reçoivent à leur consultation les malades qui peuvent s'y transporter ; mais ainsi que le faisait remarquer le ministre de l'intérieur dans une circulaire adressée aux préfets (4) "La consultation n'est le plus souvent que l'indication du traitement à suivre ; le but des dispensaires, pour répondre aux besoins ci-dessus mentionnés, serait d'indiquer le traitement et de l'appliquer séance tenante aux malades dans la mesure du possible. Ces établissements seraient outillés de manière à ce que, dans un grand nombre de cas, l'action médicatrice pût être exercée sur place : pansements, orthopédie, hydrothérapie, électricité, etc. On administrerait, autant que faire se pourrait, les médicaments dans le dispensaire même, afin d'éviter les négligences et les erreurs susceptibles de se produire dans la famille ; on ferait prendre aux malades, dans les mêmes conditions, les préparations toniques et reconstituantes ; et même, quand la situation pécuniaire le permettrait, on distribuerait aux enfants des rations alimentaires, qui, bien souvent, ont la valeur d'un médicament". Ainsi, au dispensaire Martainville, de Rouen, grâce aux cotisations fournies par un comité de dames, on distribue chaque jour aux enfants malades une certaine quantité de lait. - Dans la même circulaire, le ministre ajoutait : "C'est une vérité incontestée que la médication préventive est de toutes la plus efficace ; les chances de guérison augmentent ou diminuent dans des proportions considérables selon que le mal est combattu à un moment plus ou moins rapproché de son début. Pour ne citer qu'un exemple, des soins médicaux donnés à temps ne pourraient-ils pas enrayer un grand nombre de ces affections gastro-intestinales, cause prépondérante de l'effrayante mortalité infantile ?". Or, à Lisieux, l'hygiène infantile laisse beaucoup à désirer ; nous avons montré, il y a quelques mois (5), que la moyenne des décès pour les enfants de un jour à un an était, pour les cinq dernières années réunies (1881-1885) de 22,60 %, et que sur 394 décès, 247 étaient le résultat de l'entérite ou de l'athrepsie ; ainsi que le fait remarquer le Dr Bertillon, toute mortalité enfantine qui dépasse 9 à 10 % de 0 à un an renferme des causes contingentes de mort que peuvent supprimer ou atténuer les mesures d'hygiène actuellement en notre pouvoir.
Il y a encore toute une catégorie de malades qui auraient à profiter du dispensaire ; nous voulons parler de ces enfants scrofuleux qui, non soignés, aboutiront fatalement à la tuberculose. Ces enfants sont très nombreux : il suffit pour s'en convaincre de consulter le registre médical de l'école maternelle. Le bureau de bienfaisance, il est vrai, leur distribue les remèdes nécessaires ; mais comment les prescriptions du médecin sont-elles exécutées ? Soit ignorance ou indifférence, soit même mauvaise volonté de la part des parents, le traitement est mal fait, et tel scrofuleux qui aurait pu guérir, ne tardera pas à devenir phthisique et ira se faire soigner à l'hôpital dont il augmentera les charges. - De plus, quel que soit le zèle des médecins du Bureau, il leur est matériellement impossible de donner le traitement externe à tous les indigents qui en ont besoin. On ne peut les astreindre, par exemple, à mettre un appareil à un enfant atteint de coxalgie, à électriser un malade ayant une paralysie, etc... Quand même ils auraient le temps nécessaire, l'outillage leur fait défaut.
Mais alors, il faut se demander ce que deviendront ces indigents. - Ou bien ils ne seront pas soignés, ou bien ils entreront à l'hôpital. Or, il faut savoir que le séjour à l'hôpital n'est pas sans inconvénients pour les enfants ; il nous serait facile de citer tel hôpital où plusieurs enfants ont succombé ou failli succomber à la variole contractée dans l'hôpital même, et les exemples de ce genre sont malheureusement trop nombreux. "Le traitement au dispensaire aurait pour heureuse conséquence de soustraire l'enfant aux chances de contagion qu'entraîne le séjour à l'hôpital, à toutes les influences nuisibles qu'engendre toujours plus ou moins l'agglomération permanente de malades sur un point déterminé. Les enfants encore allaités par leur mère ne peuvent être traités à l'hôpital qu'autant que celle-ci est elle-même hospitalisée ; le nombre de ces lits de mères-nourrices est fort restreint, et, dans un grand nombre de cas, il est impossible à la mère de profiter de la faveur qui lui est offerte, et d'abandonner ainsi son foyer en vue du traitement de son nourrisson. Le dispensaire serait donc d'un puissant secours pour les jeunes enfants dans la période de l'allaitement, lesquels sont, par la force des choses, les déshérités de l'hôpital et ont en même temps le plus besoin d'assistance médicale puisqu'ils sont incomparablement plus exposés que les autres" (6). Dans un article remarquable publié récemment dans la Normandie médicale, un de nos confrères de Rouen, le Dr Gendron, insiste sur le même sujet : "Les enfants ont, dit-il, plus particulièrement éveillé la sollicitude de ceux qui ont créé des dispensaires, la plupart leur sont destinés. A notre avis, ce privilège est bien mérité, car ce sont ceux à qui convient le moins l'hospitalisation et qui pourtant payent le plus large tribut à la maladie : dans une famille, l'enfant aura eu dix fois besoin des secours de la médecine, quand souvent le père et la mère n'y auront pas fait appel une seule fois. Va-t-on, comme le dit le Dr Gibert, pour toutes ces affections bénignes, faire courire aux enfants les dangers de la contagion dans les hôpitaux ? Va-t-on, quand ils ne sont encore que des nourrissons, les séparer de la mère qui, si négligente qu'elle soit, est encore supérieure à toutes les gardes à qui on les confiera ? Les hôpitaux n'y suffiraient même pas. Les indispositions passagères, si communes qu'elles soient, surtout dans le bas-âge, ne répondent d'ailleurs qu'à la minorité de la clientèle infantile ; ce sont tous les enfants débiles, maladifs, tous les lymphatiques, les scrofuleux qui en forment la grosse majorité, et ceux-là ont besoin de soins prolongés et réguliers. L'expérience a du reste démontré, au dispensaire Martainville, que le traitement tel qu'il y est organisé est bien celui qui convient aux enfants malades : pendant la première année d'exercice, ils ont prélevé à eux seuls un tiers de la totalité des consultations. Il n'est pas sans intérêt non plus de signaler la répugnance que les mères éprouvent à porter leurs enfants à l'hôpital ; est-ce à l'expression d'un sentiment purement familial ? Est-ce au contraire un préjugé ? Les deux explications sont sans doute vraies, mais peut-être qu'aussi ces malheureuses ont fait les remarques que nous signalions en commençant".
En résumé, le traitement externe, c'est-à-dire la partie originale et vraiment utile des dispensaires, n'existe pas à Lisieux pour les malades indigents. Sans doute ils peuvent le recevoir à l'hôpital ; encore leur est-il donné d'une manière très incomplète. (7)
Il y a donc là une lacune à combler. Est-il possible de le faire ? Oui certainement, si l'on veut bien adopter le nouveau mode d'assistance médicale que nous venons d'exposer et qui donne ailleurs de si beaux résultats. Le moment serait peut-être opportun ; l'école maternelle et la crèche sont dans des conditions hygiéniques qui laissent beaucoup à désirer ; l'espace est trop restreint, et les enfants sont à l'étroit, aussi bien dans les classes que dans la cour où ils prennent leurs récréations. L'administration, paraît-il, s'en préoccupe et cherche un emplacement plus convenable. Ne pourrait-on pas profiter de cette occasion pour organiser le service médical que nous proposons ?
Si personne ne vient contester l'utilité des dispensaires, il y a un point sur lequel l'accord ne sera pas aussi unanime.
- Le dispensaire, dira-t-on, sera pour la ville une charge nouvelle. - En effet, il est possible, probable même, qu'au début il y aurait un surcroît de dépenses. L'organisation d'un établissement semblable, si élémentaire qu'elle soit, est évidemment coûteuse. Toutefois, les chiffres que nous allons citer prouveront que l'assistance médicale par les dispensaires doit être moins onéreuse que par l'intermédiaire des bureaux de bienfaisance et à plus forte raison de l'hôpital.
Le tableau suivant contient la récapitulation des moyens thérapeutiques employés au dispensaire du Dr Gibert, au Havre, le montant de la dépense annuelle et le prix moyen du traitement de chaque enfant. (8)
années | nombres enfants soignés | nombre des moyens d'action médiatrice | dépense de chaque année | prix de revient moyen par enfant | prix moyen par journée de traitement |
1875-1876 | 580 | " | 10.799.55 | 18.62 | 0.46 |
1876-1877 | 1.165 | 9.900 | 941. " | 8.02 | 0.32 |
1877-1878 | 1456 | 9.720 | 9.508.75 | 6.53 | 0.26 |
1878-1879 | 1.462 | 13.661 | 9.082. " | 6.21 | 0.26 |
1879-1880 | 1.574 | 10.780 | 8.677.55 | 5.51 | 0.22 |
Dans les autres dispensaires les résultats sont les mêmes à peu de chose près.
Nous aurions voulu pouvoir établir le prix de revient moyen par malade du bureau de bienfaisance, et le comparer à celui des dispensaires ; nous avions même commencé ce travail, mais nous avons été obligé de l'interrompre, car nous n'aurions pu obtenir de résultats complètement exacts. En effet, les ordonnances délivrées aux malades portent le numéro du livret : le livret est unique pour la famille de l'indigent, de sorte que la moyenne que nous eussions pu obtenir se serait rapportée à une famille et non à un individu. En tout cas, il est incontestable que les dépenses de pharmacie sont une des principales charges du bureau de bienfaisance, qu'elles paraissent s'accroître tous les ans et non proportionnellement au nombre des familles secourues, tandis que les dépenses du dispensaire vont, au contraire, diminuant chaque année.
années | sommes payées pour les ordonnances | nombre des familles indigentes | prix des ordonnances par familles |
1881 | 3.753.88 | 514 | 7.30 |
1882 | 4.186.75 | 594 | 7.06 |
1883 | 3.665.84 | 535 | 6.85 |
1884 | 5.155.41 | 460 | 11.21 |
1885 | 4.660.47 | 414 | 11.25 |
Il est évidemment très regrettable que les points de comparaison nous fassent défaut, mais encore une fois, les documents mis à notre disposition ne nous auraient permis d'établir aucune base solide. Néanmoins, il est fort douteux que l'assistance, tant hospitalière qu'extra-hospitalière, puisse produire des chiffres semblables aux chiffres cités plus hauts.
D'ailleurs, quelques exemples pris entre mille, feront voir que dans un grand nombre de cas, le traitement des malades par l'intermédiaire du dispensaire, est moins coûteux. Il y a certaines maladies des yeux qui nécessitent l'emploi des collyres, les conjonctivites entr'autres. Dans le courant de la même semaine, un médecin de bureau peut voir dix malades atteints de conjonctivite catharrale : il sera donc obligé de prescrire dix collyres. Ces dix collyres seront-ils utilisés ? Non, certainement. Admettons que le malade exécute sa prescription, il peut être guéri au bout de deux à trois jours, et alors, le médicament sera en partie perdu, tandis qu'un seul collyre aurait pu profiter aux dix malades. Au lieu de dépenser 1 ou 2 fr., le bureau de bienfaisance en aura dépensé 8 à 10. Et il en est de même pour un grand nombre de remèdes. Est-il nécessaire de parler des abus créés par la distribution de vin de quinquina ? MM. les Administrateurs du bureau de bienfaisance sont suffisamments édifiés à cet égard et n'ignorent pas que ce médicament n'est pas toujours utilisé par les malades auxquels il est destiné.
- Autre exemple : un indigent a une tumeur blanche du genou, il entre à l'hôpital : supposons qu'il y reste trois mois. Croit-on que si cet homme avait été soigné au dispensaire, les frais nécessités pour sa guérison eussent été comparables à ceux qu'il a occasionnés à l'hôpital, quand même le bureau eût jugé bon d'ajouter une distribution journalière de secours en nature, si l'indigent est un chef de famille.
Mais, y eût-il même un léger surcroît de dépenses, le sacrifice serait-il en rapport avec les résultats obtenus ? Si l'on veut bien réfléchir aux avantages que les dispensaires doivent procurer dans l'avenir, on verra que l'argent dépensé pour leur établissement est loin d'être improductif. Si, grâce à eux, un certain nombre d'enfants échappent à la mort, le capital versé produira, à un moment donné, de gros intérêts. La vie humaine a, en effet, une valeur économique, que l'on paraît trop souvent méconnaître (9). Il y a deux ans, au Congrès international de la Haye, M. Rochard démontrait, chiffres en main, que les dépenses faites au nom de l'hygiène, sont des économies, et que rien n'est plus dispendieux que la maladie, si ce n'est la mort. Or, c'est surtout au point de vue de l'hygiène, que les dispensaires sont appelés à rendre des services, car, s'ils ont pour but de traiter les malades, ils sont dans les meilleures conditions pour enrayer ou pour prévenir les maladies chroniques.
Une dernière question resterait à résoudre : Quelle doit être l'organisation d'un dispensaire à Lisieux ? Copier ce qui a été fait à Paris ou à Rouen paraît peu pratique, ces grandes villes ayant des charges et des ressources particulières, ont dû disposer une installation qui serait pour notre ville aussi onéreuse qu'inutile. Nous croirions d'ailleurs sortir de notre rôle en insistant sur ce point qui est du ressort de l'administration. Toutefois, l'expérience d'autrui est toujours profitable et on pourrait peut-être essayer de se créer des ressources, comme a su le faire au Havre, le Dr Gibert.
Notre but aura été atteint, si nous avons pu convaincre nos lecteurs de l'utilité des dispensaires. Il est vrai que, jusqu'à ce jour, les grands centres seuls ont employé ce nouveau mode d'assistance médicale, mais il nous semble que les petites villes pourraient aussi bénéficier des avantages que nous signalions plus haut. Quel inconvénient y aurait-il à ce que la ville de Lisieux prît cette initiative ?
Avec les dispensaires, tous les malades indigents peuvent recevoir les secours qui leur sont nécessaires. En outre, il y a encore un autre résultat à considérer, résultat qui, pour n'être pas immédiat, n'en est pas moins des plus précieux. Les enfants débiles, scrofuleux, qui auront vu modifier leur constitution par les soins journaliers qu'ils auront reçus, seront plus tard des adules valides et aptes au service militaire ; de plus, ces mêmes enfants, devenus hommes, pourront produire une race saine et vigoureuse, au lieu de donner naissance à des êtres chétifs ou à des avortons. Est-il donc indifférent d'obtenir de tels avantages et n'y a-t-il pas là une oeuvre tout à la fois humanitaire et patriotique à accomplir ?
Notes :
(1) Dr Foville, Rapport au ministre de l'intérieur, 22 novembre 1880. (2) Dr Gibert, Deuxième rapport présenté aux souscripteurs, 1880. (3) Dr Foville, Journal officiel, 1881, 7 février, p. 675. (4) Journal officiel, 1881, 31 janvier, p. 546. (5) Normandie médicale, 1886, n° du 15 et du 1er avril. (6) Journal officiel, 1881. (7) Le traitement externe à l'hôpital ne comprend que les pansements et les bains pour certaines affections de la peau. (8) Ces renseignements sont extraits d'un rapport du Dr Foville. (9) Chaque année, les enfants qui dépassent la quinzaine deviennent des producteurs, et la valeur de leur travail dépasse l'intérêt des sommes qu'il a fallu dépenser pour les élever. - Rochard : conférence faite à Rouen à l'occasion de l'inauguration de la Société normande d'hygiène, 7 décembre 1884.